Fête du Cœur de Jésus, 28 juin 2014.

Homélie prononcée par le Père André Perroux, scj. à la Chapelle du Sacré-Coeur à Metz

Textes liturgiques : Dt 7, 6-11 ; Ps 102 ; 1 Jn 4, 7-16 ; Mt 11, 25-30.

Chers amis, frères et sœurs, c’est fête pour nous aujourd’hui : une journée toute spéciale, une fête solennelle ! Mais une fête pour célébrer ce que nous nous efforçons de vivre chaque jour, dans le simple et modeste quotidien de nos vies.

   La Parole de Dieu que nous venons d’entendre, des textes qui nous sont familiers, nous le rappelle : ce qui compte pour nous, ce qui doit compter plus que tout, c’est de savoir reconnaître et accueillir l’amour de Dieu, tel qu’il nous est révélé et donné dans le cœur de Jésus. Le Verbe de Dieu, le Fils bien-aimé du Dieu invisible, a pris chair, un corps et un cœur d’homme, il est devenu l’un de nous, bien visible, plein de grâce et de vérité.  Et il nous appelle à venir à Lui, à nous mettre à son école, pour apprendre de Lui ce qu’est l’amour de Dieu notre Père et comment nous pouvons en vivre.

   En communion d’Église, uni à de nombreuses communautés, c’est pour fêter cet amour que nous sommes rassemblés dans notre chapelle ce matin. Pour que par notre rencontre dans la prière, par nos chants, cet amour grandisse en nous et autour de nous, pour qu’il rayonne et devienne de plus en plus la force et le soutien de notre fidélité au jour le jour. « Seigneur notre Père, en vénérant le Cœur de ton Fils bien-aimé, nous célébrons les merveilles de ton amour pour nous : fais que nous recevions de cette source une grâce plus abondante ! » C’est l’oraison qui a ouvert notre Eucharistie, elle en exprime parfaitement tout le sens.

   Célébrer les merveilles de l’amour de Dieu : voilà en effet la raison de notre fête ! Et communier nous-mêmes à la joie de Jésus qui accueille ses disciples au retour de leur première annonce de la bonne nouvelle : « À l’instant même, rapporte saint Luc (10, 21), Jésus exulta sous l’action de l’Esprit Saint et dit : Père, Seigneur du ciel et de la terre, je te loue d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé selon ta bienveillance ». Spontanément, de la spontanéité même de l’Esprit qui anime toute sa vie et qui pénètre les pensées du cœur de Dieu, Jésus donne libre cours à sa joie, une joie qui devient prière ; sa louange monte vers Celui qui a su parler au cœur des « tout-petits » et les ouvrir à la bonne nouvelle de son amour. Il chante son Magnificat, un parfait écho du Magnificat de Marie sa mère, l’humble servante : elle est la première de ces tout-petits, elle aussi comblée de l’Esprit, elle chante la joie de tous ces humbles qui vivent à l’unisson du cœur de Dieu. Selon cet esprit elle a formé le cœur de Jésus son enfant, et lui-même maintenant nous appelle à en vivre. C’est « la joie de l’Evangile ». « Venez à moi, mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos »…

  Les trois passages de la Parole de Dieu nous le rappellent : en tous les temps, à travers toutes les générations, Dieu a voulu se manifester comme le Dieu qui aime. S’il s’est choisi un peuple, « le moindre de tous les peuples », c’est seulement par amour, pour se révéler comme « le vrai Dieu, le Dieu fidèle qui garde son alliance et son amour pour mille générations à ceux qui l’aiment… » (Dt 7, 9). Selon l’expression définitive de saint Jean, « Dieu est amour: et voici comment il l’a manifesté : il a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par Lui » (1 Jn 4, 10). Dieu est amour : un amour qui libère, qui gratuitement et en surabondance donne la vie, un Dieu qui sauve et veut notre bonheur. Cet amour s’accomplit en plénitude dans la venue de son Fils dans notre chair : à travers toute sa vie, sa passion et sa résurrection. Nous le célébrons en chaque fête au long de l’année liturgique, chaque dimanche, pour en vivre chaque jour. Notre fête aujourd’hui vient comme en conclusion de tous les mystères, Noël, Pâques et le Pentecôte, et elle nous introduit au « temps ordinaire » de notre vie quotidienne, car c’est bien là que cet amour de Dieu en Christ est répandu en nos cœurs pour porter du fruit en abondance, à la gloire et pour la joie de Dieu…

 Nous sommes rassemblés ce matin, membres du peuple saint de la nouvelle Alliance. Dieu nous a choisis comme il a choisi son peuple : par amour.  Dans sa bonté il a voulu cacher ce mystère aux sages et aux intelligents, pour le révéler aux « petits ». C’est son expérience la plus intime que Jésus exprime ainsi, ce qu’il est lui-même, lui à qui « le Père a tout remis », lui en qui le Père « trouve toute sa joie » (Mt 3, 17). Il nous exhorte à communier à cette joie : « Venez à moi, apprenez de moi, prenez sur vous mon joug, il est léger et facile à porter ! ».  

   Pour mieux apprécier son invitation, revenons un instant au contexte immédiat, selon saint Mathieu. Dans l’obscurité de sa prison Jean le Baptiste fait poser la question à Jésus : Es-tu vraiment le Messie qui doit venir, un Messie puissant et triomphant, le Juge sévère qui inaugurera la fin des temps ? Ou bien me serais-je trompé, et « devons-nous en attendre un autre » (Mt 11, 2) ? Pour lui répondre Jésus renvoie aux signes qu’il accomplit et que tous peuvent voir : les aveugles retrouvent la vue, les malades sont guéris, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, et heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! (Mt 11, 5 – 6). Il ajoute : « La Sagesse de Dieu a été reconnue d’après ses œuvres ! ». Non, le Baptiste ne s’est pas trompé, et bientôt il paiera de sa vie le prix fort de son adhésion à la sagesse de Dieu. Mais cette sagesse est vraiment déroutante. Folie pour le monde, elle est intuition du « bon plaisir » de Dieu, elle est initiation à l’art de vivre en conséquence. Cette Sagesse de Dieu, c’est Jésus lui-même dans toute sa nouveauté, ce qu’il est et ce qu’il fait, Lui le Fils bien-aimé qui seul connaît parfaitement le Père et le révèle aux « petits ».

   Lui présent au milieu de nous, dans la pauvreté et dans l’humilité : et les signes du Royaume sont là, en paroles et en actes. Ils sont proposés à tous, mais les « savants » ne les voient pas ou les voient de travers. Ce sont les signes de l’amour, ils sont donnés par le Fils qui est doux et humble de cœur, proche, disponible et bienveillant pour tous ; savent les percevoir ceux et celles qui peinent sous le poids du fardeau de la vie, ceux qui plient sous les exigences d’une Loi que les scribes leur imposent mais qu’ils se gardent bien de pratiquer eux-mêmes.  

   Qui donc sont ces « petits » ? Ce sont, dit l’Évangile, ces « foules nombreuses » qui de partout accourent à Jésus, elles ont faim et soif de sa Parole, elles le suivent jusque dans le désert et sur la montagne : « On lui amenait tous ceux qui souffraient en proie à toutes sortes de maladies et de tourments ; et il guérissait toute maladie et toute infirmité » (Mt 5, 23 – 24). Qui sont ces « petits »? Ce sont les foules toujours aussi nombreuses aujourd’hui encore, les exclus, les laissés pour compte, les blessés par les épreuves de la vie, victimes de la violence et du manque d’amour, eux aussi malades en proie à toutes sortes de tourments… Beaucoup ne connaissent pas la tendresse de Jésus, mais lui sait parler au secret de leur cœur, il sait les soutenir dans leur espérance, dans leur aspiration à un monde meilleur. Et pour que cette Bonne Nouvelle parvienne à tous, Jésus compte sur nous…

  Car ces « petits », ce sont aussi les disciples qui à son appel, ont l’audace de tout laisser pour le suivre, pour « être avec lui », pour apprendre de lui, jour après jour, ce que signifient l’amour et la compassion du Père, pour avec lui vivre les attitudes et les valeurs du Royaume, pour en devenir ainsi les ouvriers et les collaborateurs parmi leurs frères. Ils se mettront à son école, une école rude et exigeante, l’école de toute une vie ! Peu à peu, à travers leur faiblesse et leur fragilité, grâce à la confiance et le pardon de leur Seigneur et par la force de son Esprit, ensemble eux aussi deviendront doux et humbles de cœur, ils apprendront la générosité et se feront tout à tous, jusqu’à donner leur vie au service de leur Maître et Seigneur.

   Comme eux, saint Paul viendra à cette école de Jésus : « Ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est sage ; ce qui est faible dans le monde Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort… J’ai décidé de ne rien savoir, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi ». Il ne craint pas d’ajouter : « Pour moi, vivre c’est Christ » (1 Co 1, 27 ; Ga 2, 20 ; Ph 1, 21).   

   À eux, à nous, à tous ces « petits », Jésus annonce la béatitude qui résume toutes les autres : « Bienheureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux !… Heureux vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! » (Mt 5, 3 ; 13,16). Heureux, ceux et celles qui dans leur simplicité et leur désir de vérité, dans leur engagement loyal pour la justice et pour la paix, savent recevoir le Royaume de Dieu comme un don gratuit et toujours offert. Le don du Dieu « bienveillant et miséricordieux, le Dieu plein de tendresse et d’amour pour toutes ses œuvres, appui de tous ceux qui tombent, le Dieu qui redresse tous ceux qui fléchissent » (Ps 145, 8 et 14). La confiance que chantent les Psaumes trouve sa pleine réalisation en Jésus : l’amour du cœur humain de Jésus, cœur ouvert, corps livré jusqu’au dernier souffle, sang versé jusqu’à la dernière goutte, est la parfaite et définitive manifestation de l’amour divin du Cœur de Dieu.

   Frères et sœurs, nous sommes là ce matin pour entendre à nouveau cette bonne nouvelle de Jésus, Jésus au Cœur blessé, Jésus au Cœur ouvert par amour. Nous la recevons, pour nous-mêmes, les uns pour les autres, et pour notre monde d’aujourd’hui : notre monde qui a tant besoin de discerner les signes de la victoire de la vie sur la mort, de la compassion et du pardon sur la haine et sur la violence, la victoire de la confiance sur le désespoir. Nous la recevons, cette Bonne nouvelle, avec notre Église, avec le Pape François : « La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Par lui ils se laissent libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours » (« La joie de l’Evangile », 1).

    Et vous me permettrez bien de vous le dire, chers amis, puisque par votre présence vous nous faites l’amitié de partager la prière et la vie de notre communauté, de notre Congrégation : après beaucoup d’autres, Augustin et Bernard, Gertrude, Marguerite – Marie et Thérèse de Lisieux, notre Fondateur le Père Dehon a été l’un de ces « petits » qui résolument, assidûment, sont venus à l’école du Coeur de Jésus, et qui passionnément ont travaillé à l’avènement de son règne de justice et de solidarité. C’est dans la Parole de Dieu, en particulier les textes que je viens de citer, qu’il a puisé l’ardeur de son zèle. « Le Cœur de Jésus, nous dit-il, l’amour de Jésus, voilà tout l’Évangile. L’Évangile, c’est la vie de Jésus, le récit de cette grande manifestation d’amour qui a duré 33 ans. Il n’y a pas à chercher dans l’Évangile autre chose que l’amour de Jésus. La plaie de son Cœur est une éloquente école d’amour. En la contemplant on est irrésistiblement gagné par l’amour et l’on veut aimer de ce bel amour de compassion qui, fondant d’abord le cœur en d’infinies piétés, le relève fortifié pour tous les dévouements ». « Un amour ardent pour le Cœur de Jésus : c’est pour moi le seul chemin où je puisse marcher un peu solidement. C’est ma voie, c’est ma vocation. C’est mon salut et ma sanctification. Toute ma force, toute ma joie, toute ma vie est dans l’amour de mon Sauveur et l’union à son divin Cœur ».

  Ensemble, entendons de nouveau ces paroles, elles témoignent d’une vie toute entière portée par le désir de répondre à l’amour par l’amour. « C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12, 49). Cette brûlante confidence de Jésus, le Père Dehon l’a reçue comme le plus pressant appel à incendier le monde, de cet incendie qui brûle au Cœur de Celui qui a aimé les siens jusqu’à l’extrême, et qui nous accompagne tous les jours sur les chemins du monde, pour la louange de gloire de son Père, de notre Père ! 

       Que notre fête aujourd’hui soit vraiment la célébration de cette « joie de l’Évangile », parmi les tout-petits, à l’école de Jésus au cœur doux et humble. « Quelle gloire, quel bonheur pour notre terre, que de posséder un tel cœur ! » C’est par cette exclamation enthousiaste du Père Dehon que je vous souhaite, que je nous souhaite une belle fête du Cœur de Jésus !

Pendant l’eucharistie à Metz