Sur un petit
papier, au-dessus de son bureau, le Père Marcel avait
écrit : "J'aurai 78 ans le 19 octobre 1977". C'est
sur un lit d'hôpital qu'il célébra cet anniversaire.
Il ne devait plus se remettre de la maladie qui l'avait atteint,
dans ses forces vives, le 14 septembre. Mercredi der-nier, 23 novembre,
à Grasse, au début de la matinée, il nous quittait
sans bruit, en pauvre.
Tout au long de son séjour à l'hôpital, jamais
un mot de plainte n'a surgi de ses lèvres : "Je ne m'ennuie
pas... je pense à Dieu". Et il ajoutait : "Tout
va bien... tout vient à point". Au terme de chacune
des visites, il disait : "Merci, merci d'être venu me
voir". Alors que son hémiplégie le faisait entrer
progressivement dans l'inconscience, il re-trouvait une lucidité
jaillissant de son être profond pour participer à la
prière. Il répétait alors, dans une grande
sérénité : "Seigneur, je toffre
ma vie pour le monde, pour l'Eglise, pour la Congrégation".
Il affrontait la mort dans la paix.
Pendant les cinq années qu'il a passées parmi nous
à Mougins, le Père Marcel nous a donné le témoignage
d'un homme unifié intérieurement, profondément
pacifique. Au plus intime de lui-même, il accueillait en la
vivant la parole du Seigneur à ses disciples : "Que
votre coeur ne se trou-ble pas". Sans doute, ses pertes de
mémoire provoquaient en lui un peu d'impatience, mais il
se reprenait vite, acceptant avec courage et beaucoup d'amour cette
pénible diminution.
Dans son petit carnet noir qu'il feuilletait pendant son adoration
quotidienne, il faisait sienne cette prière : "Pour
ta gloire, Seigneur, accorde-moi la grâce de n'avoir qu'une
souffrance, celle de faire souffrir mes frères et qu'une
joie, celle de les aider à être moins malheureux...
Seigneur, accorde-moi une volonté patiente, afin que mes
frères soient heureux malgré mes défauts et
leurs défauts, malgré leurs faiblesses et mes faiblesses".
Très jeune, il avait connu la souffrance. "En souvenir
de mon en-fance malheureuse" avait-il écrit pour une
ballade des pauvres de la banli-eue de Lorient, ballade qu'il avait
recopiée et harmonisée. "Mon père mili-tait
dans le parti socialiste. Il m'emmenait parfois aux réunions
des ou-vriers. Et il me disait : "Marcel, ouvre tes oreilles".
Et le jeune Marcel ouvrait ses oreilles pour écouter la voix
des pauvres, et à travers la voix des pauvres de son quartier,
dont il parta-geait l'existence, il reconnut la voix du pauvre,
Jésus-Christ. En septem-bre 1912, âgé de 13
ans, il quittait Lorient pour suivre Jésus-Christ, "qui
est le chemin, la vérité, la vie".
Après son petit séminaire, à Mons en Belgique,
il entrait au novi-ciat des Prétres du Sacré-Coeur
et prononçait ses premiers voeux le 6 juin 1920. Il aimait
rappeler ses années de théologie à la Faculté
de Strasbourg. Ordonné prêtre le 15 juillet 1928, il
se consacre au ministère de l'ensei-gnement. Ses anciens
élèves se rappellent l'enthousiasme de leur professeur
qui parfois les faisait sourire. Tout au long de sa vie, il donna
le meil-leur de lui-même à la formation de jeunes dont
beaucoup sont devenus prê-tres.
"Ouvre tes oreilles" lui avait dit son père. Fidèle
à cet appel, il s'appliqua au prix de luttes parfois très
rudes, à apprendre à écouter. Mais conscient
que cela dépassait ses propres forces, il en fit une prière
de supplication, consignée dans son petit carnet : "Seigneur,
accorde-moi de savoir écouter, de savoir deviner, de savoir
pardonner, afin que mes frères soient plus heureux. Rends-moi
dévoué à tout ce qui est petit, insignifiant
pour que je puisse prendre à coeur ce que personne ne prend
à coeur. Rends--moi petit et suffisamment pauvre, pour que
je sois moi-même aidé par les autres. Fais-moi reconnaître
chez mes frères l'action toujours à l'oeuvre de ton
Esprit, et célébrer en Jésus-Christ, ton Fils,
les "merveilles de ton amour plein de tendresse". `
Comme le "ravi" des santons de Provence, il s'est laissé
émerveillé par le Seigneur : difficultés, faiblesses
et épreuves n'entamèrent jamais sa confiance en la
tendresse de Dieu pour les hommes. Le chien est lami de l'homme,
Je voudrais être le "chien de Dieu" avait-il griffonné
sur un bout de pa-pier retrouvé dans sa chambre. C'est avec
cette fidélité humble et modeste qu'il vient d'entrer
dans la joie de Dieu.
L'Eucharistie que nous célébrons nous fait partager
son action de grâces, celle de Jésus-Christ ressuscité.
Et notre cher Père Marcel vient redire à chacun de
nous ce que St Paul nous rappelait dans la 1ère lecture:
"Dans notre vie et dans notre mort nous appartenons au Seigneur".
Nous ne résistons pas à lenvie de vous faire
lire lune de ses nombreuses poésies :
« LORSQUE L'HEURE VIENDRA »
1. Lorsque l'heure viendra pour moi de disparaître
Sous la dalle en granit ou sous le gazon vert,
Roulez mon vieux fauteuil au coin de la fenêtre,
Car je voudrais mourir en regardant la mer.
2. Puis, décrochant du mur la douce Croix divine
D'où me sourit toujours le grand Consolateur,
Glissez-la dans mes doigts crispés sur ma poitrine
Car je voudrais mourir en l'ayant sur mon coeur.
3. Et priez pour que Dieu me prenne à l'heure exquise
Où le soleil descend derrière les palus,
A l'heure où tinte au loin la cloche de l'église,
Car je voudrais mourir au son de l'Angelus.
(Père Marcel Salin, scj)
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
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