Le 25 septembre 1915,
en Champagne, nous perdîmes deux autres confrères,
scolastiques de Louvain, tous deux sous-officiers, tous deux anciens
élèves de S. Clément.
F. Lambert, du diocèse de Nancy, était à
peu près du même âge que son émule le
F. Rattaire. Nous eûmes d'abord peu de détails sur
son existence depuis août 1914. Un de nos confrères
belges trouva son nom et son adresse sur le registre des visiteurs
du Mont des Cats, célèbre monastère de trappistes,
alors intact, presque anéanti depuis les batailles autour
du mont Kemmel, en 1918.
Il était sergent au 69° R. I. Il faisait donc partie
de la division de fer, de Nancy, dont les exploits, aussi nombreux
que célèbres, se comptent par les jours et les victoires
de la campagne, et lui ont valu la distinction suprême,
la fourragère aux couleurs de la Légion d'Honneur
(1). Avec la division de fer, il avait défendu le Grand
Couronné de Nancy, vécu cette lutte épique
de l'Yser, où s'illustrèrent également les
fusiliers marins. Une annonce parue dans la Croix nous mit en
relation avec lui, mais, hélas! c'était quand ses
jours étaient déjà comptés. Le 25
septembre, il scellait de son sang la victoire de Champagne. Sa
mort fut aussi obscure que ses campagnes. Enfin, après
bien des mois de recherches, nous reçûmes la lettre
suivante de son aumônier :
« Mon Révérend Père,
j'ai, ce me semble, déjà écrit à quelqu'un
au sujet du Fr. Lambert. Si mes souvenirs sont fidèles,
ce devait être au curé d'une paroisse de Nancy. Dans
cette lettre, j'ai dit quelle édification cet excellent
sous-officier avait produite parmi nous et j'ai dû faire
son éloge.
Je me rappelle que ses hommes l'aimaient bien et que, sous la
mitraille, ils prenaient modèle sur lui, répondant
volontiers au chapelet qu'il se plaisait à dire lorsque
le danger devenait pressant.
C'était un modeste, en même temps qu'une âme
très délicate, une âme d'artiste.
II s'effaçait, ne cherchait pas à se produire, et
cependant se montrait fort serviable pour agrémenter nos
cérémonies religieuses par son talent d'organiste
qui était très remarquable. Je l'ai vu s'approcher
de la Sainte Table toutes les fois qu'il le put, en marche, au
cantonnement, en secteur. I1 était fidèle à
nos exercices du soir, puisqu'il y tenait l'orgue.
La nuit qui précéda sa mort, il se montra particulièrement
énervé. Un rien l'excitait. Tout obus qui passait
lui faisait une peur inaccoutumée et son âme était
triste. Il confiait à ses voisins que rien ne marcherait
et qu'il n'en reviendrait pas. Et comme si les événements
se conformaient d'eux-mêmes à ses pressentiments,
il fut tué avant l'attaque, dans le boyau où sa
section attendait l'heure de l'assaut. Il s'était mis à
genoux les mains en avant et le corps penché pour éviter
l'obus qui le frappa. Il avait communié la veille, pendant
la messe que j'avais dite, le 24 septembre au matin, dans un petit
bois, près de S. Jean sur Tourbe. J'ai perdu en lui un
excellent ami, très édifiant, observateur exact
de sa règle religieuse, fidèle à la prière,
en un mot un confrère dont les rapports m'étaient
des plus agréables.
Il était homme de devoir. C'est le plus grand éloge
que j'en puisse faire. I1 faisait son métier de soldat
et de religieux avec modestie, sans ostentation et sans bruit.
Ainsi en fut-il de beaucoup de nos hommes qui ont donné,
sans prononcer de mots historiques, leur sang pour la patrie et
à qui la France devra de conserver son sol et d'avoir été
victorieuse et illustre. Ces poilus sont des héros qui
ne font pas de bruit, mais qu'il faut aimer et admirer. Lambert
était de ceux-là! »
Comme le F. Rattaire, F. Lambert était un de nos meilleurs
sujets. Comme lui, il avait professé à St Clément
de nombreuses années, sacrifiant son avancement dans les
études sacrées et les saints Ordres au plaisir de
communiquer ce qu'il savait et de se dévouer à son
tour, «sine invidia communico». Il était à
la fois grammairien émérite et compositeur de talent.
Il n'était pas, lui non plus, de ceux dont l'Ecriture dit
qu'ils sont comme s'ils n'existaient pas. Sa perte, au contraire,
cette double perte de F. Rattaire et de F. Lambert, sera vivement
et longtemps ressentie parmi nous, surtout à S. Clément.
(1) Il n'est peut-être pas indifférent
de rappeler que le 153è R. 1., le régiment de F.
Rattaire, faisait également partie du beau 20e corps de
Nancy !
(EXTRAIT DE «QUELQUES PRETRES DU SACRE-COEUR
DE St-QUENTIN, MORTS AU CHAMP DHONNEUR.
(1914-1918) »)
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES