Une belle figure de prêtre du Sacré-Cur
s'est éteinte: le P. Henri Christen s'en est allé
auprès du Père le 24 août dernier à l'âge
de 75 ans, emporté en quelques semaines par une douloureuse
affection de prostate. En le perdant, la Congrégation a perdu
une des personna-lités les plus méritantes et les
plus attachantes. Successivement éco-nome à Louvain,
missionnaire et procureur de la mission de Stanley-ville, fondateur
et premier supérieur du poste de Batama, provincial de France,
assistant général, secrétaire des missions:
partout le P. Christen s'est montré à la hauteur de
sa tâche, religieux modèle, ca-pable et consciencieux
et, par-dessus tout, confrère serviable à l'éternel
sourire.
Né à Oberhergheim en Alsace (68) le 9 juin 1890, il
entra en 6e à Clairefontaine en 1904 et y revêtit la
soutane en 1909. Il fit son noviciat au Manage (Meslin-l'Evêque)
sous la direction du P. A. Jac-quemin qui venait de prendre la succession
du saint Père André, pre-mier Provincial de la Province
dite « occidentale ». Il put aussi béné-ficier
de nombreuses conférences du P. André qui suppléait
bien souvent son successeur. Il émit ses premiers vux
le 23 septembre 1910 et rentra à Clairefontaine pour seconder
un corps professoral assez réduit et mis à l'épreuve
du fait de son supérieur. Le P. André personnellement
prit les mesures qui s'imposaient. Ceci pour signaler que le P.
Christen commença de bonne heure une expérience dont
il profitera plus d'une fois dans sa vie. En 1912 il commença
ses études ecclésiastiques au Scolasticat de Louvain,
qui était alors dans toute la fraîcheur des nouvelles
constructions de 1908. Il se trouvait en congé en Alsace,
quand la guerre de 1914 éclata. Il n'échappa pas à
l'enrô-lement, mais fit si bien, arguant de son état
de séminariste, qu'il fut versé dans le «Landsturm»
.. Il y servit au service de désinfection. Durant la guerre,
l'école de Tervüren le vit souvent, puisque le «
sco-lasticat » y avait élu domicile dès 1915.
C'est son vaillant supérieur, le P. D'Hossche, bientôt
déporté en Allemagne, qui hâta son ordination
au sous-diaconat. Le 21 mai 1917, il reçut l'ordination sacerdotale
à Malines La première messe du P. Christen au pays
natal fut une messe de Requiem pour un de ses frères tué
au cours de la guerre en Russie. La fin de la guerre le trouve à
Virton comme aumônier de lazaret. C'est là qu'il s'acquit
beaucoup de sympathies et particulièrement celle du doyen
d'alors, le futur Mgr Cawet, évêque coadjuteur de Namur.
Au lendemain de l'armistice, le P. Christen fut associé comme
économe au nouveau recteur de Louvain, le P. Rabot, récemment
re-venu de la guerre Il s'agissait avant tout de remettre en état
une maison que la mobilisation de 1914 avait pratiquement vidé
de son personnel et qui avait servi d'hôpital militaire, puis
d'abri aux réfugiés et enfin d'institut orthopédique
pour enfants. Avec quelques démobi-lisés de bonne
volonté, le P. Econome travaillait d'arrache-pied, tant et
si bien que quelques mois plus tard 26 scolastiques purent réintégrer
le scolasticat presque remis à neuf. Malgré ce rapide
démarrage, le relancement de Louvain continuait à
poser pas mal de problèmes. Il fallait subvenir aux dépenses
courantes et assurer l'amortissement d'em-prunts, contractés
en Hollande avant guerre, et dont la charge avait plus que doublé
du fait de la dépréciation des monnaies belges et
fran-çaises. D'autre part, les générations
de scolastiques qui revenaient du front s'adaptaient difficilement
à une discipline d'école. Mais la bonne humeur du
P. Christen, son savoir-faire, son exemple surtout facili-tèrent
le retour à la normale. En tout cas, ce fut avec un regret
una-nime qu'on apprit que les Supérieurs agréaient
son départ en Mission. Le futur missionnaire suivit pendant
quelques mois des cours de mé-decine coloniale à Bruxelles,
ce qui lui valut le diplôme d'infirmier dont il devait tirer
bon parti au Congo.
En 1925, le P. Christen s'embarqua à Anvers pour voguer vers
le continent noir. En mars 1926, il fut chargé de la Procure
de la Mis-sion à Stanleyville et associé au P. Lapointe
pour le service de la paroisse et l'apostolat en brousse. La charge
de Procureur représentait alors rien moins qu'une sinécure.
Les approvisionnements venaient en grande partie de Belgique avec
une lenteur assez marquée. Mais le Père s'acquitta
de sa charge à la grande satisfaction de tous. Quand il se
fut agi, en 1928, d'organiser et de préparer à Saint-Gabriel
l'as-semblée générale des supérieurs
des missions du Congo, Mgr Grison fit appel aux talents du P. Christen.
« Garnir 25 chambres dont une quin-zaine pour des évêques,
trouver des vivres pour une trentaine de per-sonnes pendant un mois,
me donna bien du tintouin... Il paraît même que tout
a été pour le mieux puisque tous songent à
revenir à Saint--Gabriel pour le prochain synode ».
Peu après le Père fut une nouvelle fois mis à
contribution pour préparer à Saint -Gabriel la réception
de LL. MM. le Roi Albert et la Reine Elisabeth. Inutile d'ajouter
qu'elle fut réussie. En l'absence du P. Lapointe en tournée
apostolique en brousse, tout le travail de l'importante paroisse
de Stanleyville où se trouvaient de nombreux convertis, plusieurs
uvres paroissiales, un couvent de Religieuses et deux de Frères,
incombait au P Procureur. Trois fois par an, il prenait à
son tour le chemin de la brousse pour un mois. En 1934, le Père
prit en Europe un congé bien mérité. En 1935
il fit paraître une étude sur les « Mambela et
Anyotos » où il tente de jeter quelque lumière
sur les rites d'initiations en usage chez les Babali et la redoutable
secte secrète des « hommes-léopards ».
En 1936, Mgr Verfaillie, qui, depuis 1934 avait pris la succession
de Mgr Grison, confia au P. Christen la fondation du nouveau poste
de Ba-tama, où il uvra d'abord avec le regretté
Fr. Jacques Bosmans, décédé en 1947 des suites
de la lèpre, puis avee le P. C. Janssen. Victime d'un accident
d'auto en 1938, le P. Christen fut hospitalisé à Stanleyville.
C'est là qu'il apprit une bouleversante nouvelle. En effet,
le T. R. P. Govaart se souvint de son compagnon tant estimé
de Louvain pour la charge de supérieur du Scolasticat de
Lille et envoya une lettre en ce sens à Mgr Verfaillie et
à l'intéressé. Monseigneur attendit la réaction
de son missionnaire et patienta. A Rome on s'inquiétait de
ce retard. La lettre destinée au P. Christen partit pour
Batavia (l'actuelle Dja-karta) et mit tout un temps à trouver
l'obscure Batama. « Après le choc physique, le choc
moral », écrit le Père. A peine rétabli,
il boucla ses valises, la mort dans l'âme, mais courageusement.
Seule l'obéissance religieuse qui lui était sacrée,
le décida à ce pas difficile. Mais jusqu'à
la fin de sa vie, il restera attaché à sa chère
mission du Congo par toutes les fibres de son cur apostolique.
En janvier dernier il écrivit:
«Nous sommes encore sous le coup de la douloureuse tragédie
dont nos deux missions du Congo ont été le théâtre.
Comment ne pas pleu-rer devant cette hécatombe des nôtres,
comment ne pas pleurer en songeant aux milliers de chrétiens
sans pasteur, aux ruines accumulées, à cette chère
mission des plus florissantes, l'orgueil déjà de notre
vénéré Fondateur et depuis de toute la Congrégation
? Et quand on a contribué pour une faible part à cette
uvre splendide, aujourd'hui en ruine, uvré, peiné,
arrosé de sa sueur, mais aussi connu tant de con-solations,
vous comprenez, mon Père, que la douleur dun vieux
mis-sionnaire comme le P. Christen, dépasse encore
si on peut dire celle, immense déjà, des autres...
».
A peine revenu en France, le nouveau supérieur prit en main
la direction du scolasticat de Lille. Les perspectives étaient
sombres, une nouvelle guerre mondiale se préparait. En 1939,
les troupes alle-mandes franchirent la frontière polonaise.
La France, avec l'Angleterre, déclara la guerre à
Hitler et décréta la mobilisation générale.
Des 92 prêtres que comptaient la province française,
33 furent appelés sous les drapeaux. En ce moment, les 79
scolastiques passaient les vacances dans leur maison de campagne
à Dieudonne avec le P. Christen. Plus de la moitié
montèrent au front, 10 allèrent remplacer dans les
écoles les professeurs mobilisés, 16 autres reprirent
leurs études à l'Université de Lille sous la
responsabilité du P. Eug. Rabot. Comme le contrat de louage
du scolasticat de Lille allait expirer en 1940, il fut décidé
que les 10 scolastiques restants demeureraient avec le P. Christen
à Dieu-donne en attendant la suite des événements.
C'est là que quelques se-maines avant l'invasion allemande,
le P. Christen reçut sa nomination comme supérieur
de la Province française. Et ce fut peu après le grand
bouleversement. A l'approche de l'ennemi, presque toutes les commu-nautés
du nord, Viry-Châtillon, Amiens, Dieudonne, Blaugies, se re-plièrent
sur Neussargues (Cantal). Peu après vinrent s'y ajouter les
scolastiques de Louvain et quelques Pères et élèves
de Burnot. Ce n'était pas une mince affaire de caser tout
ce monde! En juin 1940, la France déposa les armes et la
plupart des mobilisés rentrèrent. La réorganisation
de la province française posa de durs problèmes qu'il
fallait résoudre d'urgence dans des conditions nouvelles
et difficiles. On était à l'étroit à
Neussargues, la seule maison importante en zone non occupée,
le pays était coupé en deux, le noviciat d'Amiens
était occupé par les militaires allemands, Dieudonne
par des familles réfu-giées, le scolasticat de Lille
fermé, l'Ecole de Blaugies, ,située en ter-ritoire
belge, ne peut ouvrir ses portes à des sujets français.
Le P. Christen acquit une maison à Busséol (Puy-du-Dôme)
et y installa le noviciat. Peu après il loua le château
de Saint-Cirgues (Clermont--Ferand) et y transféra le scolasticat.
Le nombre croissant des candidats au sacerdoce amena une crise de
logement et il fallut essaimer, les philosophes s'installèrent
à Uriage (Grenoble) où les théologiens, à
la fin des hostilités, vinrent les rejoindre, en attendant
d'occuper tous le scolasticat de Lyon. Après le départ
du scolasticat, le château de St-Cirgues n'abritait plus que
les novices jusqu'à leur retour à Amiens après
la guerre. Pendant toute la durée de la guerre, le P. Christen
demeurait à Neussargues, et bien souvent la fameuse ligne
de démarcation le vit, voyageur clandestin, passer d'une
zone à l'autre
Le 21 mars 1946, après un double triennat difficile et mouve-menté
le P. Christen céda la place au P. René Bouclier à
la tête de la Province française. L'année suivante,
le R. P. Govaart fut réélu supé-rieur général;
un nouveau conseil lui fut adjoint et le P. Christen y entra comme
assistant général. En cette qualité il entreprit
plusieurs voyages en Afrique pour normaliser les relations entre
la Curie Généralice et les missions africaines en
constante évolution. En même temps il dirigeait la
communauté de Rome comme supérieur local.
Après le décès du R. P. Govaart en 1954 et
en attendant l'élec-tion du successeur, le P. Christen, en
qualité de Vicaire général, assura l'intérim
dans la direction de la Congrégation. A ce titre, il avait
dans ses attributions la convocation et la préparation du
chapitre délection duquel devait sortir en 1954 le
R. P. Lellig comme supérieur général. Celui-ci
mit immédiatement en exécution un projet élaboré
par son prédécesseur, l'érection d'un secrétariat
des missions et en confia la direction au P. Christen. A cette époque,
la Congrégation travaillait dans le diocèse d'Aliwal,
dans les Vicariats apostoliques de Stanley-ville, de Wamba, de Foumban,
de Palembang et de Finlande, dans les préfectures apostoliques
de De Aar et de Tandjung-Karang, et dans les missions de Mozambique
et de l'Amérique du Nord. Le R. P. De Palma, devenu Supérieur
général en 1959, maintint le P. Christen dans ses
fonctions de secrétaire des Missions, tâche que celui-ci
remplit avec toutes ses ressources d'esprit et de cur jusqu'à
la veille de sa mort.
En juillet dernier, le P. Christen se rendit à Vitorchiano
pour y passer quelques semaines de vacances. C'est là que
l'atteignirent les premiers symptômes du mal qui allait le
terrasser Après un court séjour à Foligno,
il vint à Ebikon (Lucerne) en attendant le moment de faire
sa retraite annuelle. Avait-il le pressentiment de sa fin pro-chaine
? Le 17 août, 5 jours après son arrivée en Suisse,
il dressa une liste des membres de sa famille avec adresses et numéros
de téléphone et plaça la feuille en évidence
sur sa table de travail. Le lendemain après une longue promenade
à pied, il fut pris d'une nouvelle et dou-loureuse crise.
L'intervention d'un urologue le soulagea. Peu après les douleurs
reprirent de plus belle. Le médecin conseilla le transfert
à la clinique Sainte-Anne à Lucerne. Le diagnostic
révéla la nécessité d'une opération,
mais en même temps un état général précaire,
suite au grand âge et aux infirmités du patient. Une
tachycardie vint compliquer les choses. Les piqûres et transfusions
de sang s'avérèrent sans effet. Le 23 août l'aumônier
de la clinique administra au moribond les sacre-ments des malades.
Les douleurs étaient atroces. Pendant ses dernières
heures, le mourant répétait aux PP. Dierker et Snijders
qui le veil-laient: « Lasset uns ziehen in Frieden ! »
(Allons en paix!). Le 24 août, tôt le matin, le P. Christen
rendit son âme à Dieu.
Le P Christen avait rêvé d'une tombe sous un palmier
d'A-frique. Or ce ne fut ni l'Afrique qui eu sa dépouille
mortelle ni le Campo Verano, mais sa terre natale. Le T. R. P. Général,
assisté de nombreux confrères, lui fit ses derniers
adieux à Oberhergheim, le vendredi 27 août dernier.
Ce fut â la date annoncée à son frère
qu'il revint, mais c'était pour « rejoindre ses Pères
», comme dit la Bible.
Inutile de dire que l'annonce de sa mort fut un deuil réel
pour tous ceux qui l'avaient connu et apprécié. Le
P. Christen avait une nature riche, très douée. Son
affabilité, sa bonne humeur, sa ser-viabilité en faisait
un confrère agréable en communauté et un réel
appui pour ses Supérieurs. Cest dommage que sa formation
culturelle n'ait pas été à la proportion de
ses dons, du fait des circonstances de la guerre de 1914. Son influence
et son rayonnement s'en seraient certainement accrus surtout dans
les milieux de jeunes.
Le P. Christen était un religieux authentique, profondément
consciencieux. Il continuait à appuyer sa vie spirituelle
par les · exer-cices ~ traditionnels trop décriés.
Il était fidèle à son oraison quoti-dienne,
même en mission et en voyage. Il était fidèle
à l'adoration quotidienne. Chaque samedi on le voyait descendre
en ville pour aller voir son confesseur... Il était modeste,
humble et pauvre. Comme Pro-vincial, on le voyait voyager dans de
modestes conditions, une vétuste serviette de toile cirée
sous le bras. Que de fois, lors de son économat à
Louvain, on le vit aller emprunter une soutane ~« convenable
» à l'un des scolastiques pour ses visites en ville.
Il était exigeant pour l'obéis-sance, rendant lui-même
un compte détaillé de ses activités à
ses supérieurs. Pour lui, c'était un signe de non-vocation
à l'état religieux que les manquements répétés
à la disponibilité aux ordres des Supé-rieurs
ou aux règles. On a conservé bon souvenir des visites
canoni-ques que ses Supérieurs lui confièrent à
diverses reprises: il prenait sa charge très au sérieux,
agissant avec grand doigté et souplesse.
Il avait un culte pour le « Très Bon Père »,
comme il conti-nuait à dire. Un des bons souvenirs de sa
vie avait été les deux mois passés à
Saint-Quentin en la compagnie du Fondateur dont l'exquise gentillesse
l'avait particulièrement séduit. Avec lui la Congrégation
perd un témoin qualifié du second âge de son
histoire.
(«Inter Fratres» N°43 nov.
65)
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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