Le Père CHRISTEN Henri (Joseph)
(1890 - 1965)
Né le 09.06.1890 à Oberhergheim ((Alsace)
Profession le 23.09.1910 à Manage (Belg)
Perpétuelle .........1915
Prêtre le 21.05.1917 à Malines (Belg)
Décès le 24.08.1965 à Luzerne (CH)
Miss. au Zaïre (1926-1938)
Sup. loc. Lille (1938-1940)
Sup. Prov. GA (1940-1946)
Cons. gén. (1947-1954)
Secrét. gén. des Miss. (1954-1965)

Une belle figure de prêtre du Sacré-Cœur s'est éteinte: le P. Henri Christen s'en est allé auprès du Père le 24 août dernier à l'âge de 75 ans, emporté en quelques semaines par une douloureuse affection de prostate. En le perdant, la Congrégation a perdu une des personna-lités les plus méritantes et les plus attachantes. Successivement éco-nome à Louvain, missionnaire et procureur de la mission de Stanley-ville, fondateur et premier supérieur du poste de Batama, provincial de France, assistant général, secrétaire des missions: partout le P. Christen s'est montré à la hauteur de sa tâche, religieux modèle, ca-pable et consciencieux et, par-dessus tout, confrère serviable à l'éternel sourire.
Né à Oberhergheim en Alsace (68) le 9 juin 1890, il entra en 6e à Clairefontaine en 1904 et y revêtit la soutane en 1909. Il fit son noviciat au Manage (Meslin-l'Evêque) sous la direction du P. A. Jac-quemin qui venait de prendre la succession du saint Père André, pre-mier Provincial de la Province dite « occidentale ». Il put aussi béné-ficier de nombreuses conférences du P. André qui suppléait bien souvent son successeur. Il émit ses premiers vœux le 23 septembre 1910 et rentra à Clairefontaine pour seconder un corps professoral assez réduit et mis à l'épreuve du fait de son supérieur. Le P. André personnellement prit les mesures qui s'imposaient. Ceci pour signaler que le P. Christen commença de bonne heure une expérience dont il profitera plus d'une fois dans sa vie. En 1912 il commença ses études ecclésiastiques au Scolasticat de Louvain, qui était alors dans toute la fraîcheur des nouvelles constructions de 1908. Il se trouvait en congé en Alsace, quand la guerre de 1914 éclata. Il n'échappa pas à l'enrô-lement, mais fit si bien, arguant de son état de séminariste, qu'il fut versé dans le «Landsturm» .. Il y servit au service de désinfection. Durant la guerre, l'école de Tervüren le vit souvent, puisque le « sco-lasticat » y avait élu domicile dès 1915. C'est son vaillant supérieur, le P. D'Hossche, bientôt déporté en Allemagne, qui hâta son ordination au sous-diaconat. Le 21 mai 1917, il reçut l'ordination sacerdotale à Malines La première messe du P. Christen au pays natal fut une messe de Requiem pour un de ses frères tué au cours de la guerre en Russie. La fin de la guerre le trouve à Virton comme aumônier de lazaret. C'est là qu'il s'acquit beaucoup de sympathies et particulièrement celle du doyen d'alors, le futur Mgr Cawet, évêque coadjuteur de Namur.
Au lendemain de l'armistice, le P. Christen fut associé comme économe au nouveau recteur de Louvain, le P. Rabot, récemment re-venu de la guerre Il s'agissait avant tout de remettre en état une maison que la mobilisation de 1914 avait pratiquement vidé de son personnel et qui avait servi d'hôpital militaire, puis d'abri aux réfugiés et enfin d'institut orthopédique pour enfants. Avec quelques démobi-lisés de bonne volonté, le P. Econome travaillait d'arrache-pied, tant et si bien que quelques mois plus tard 26 scolastiques purent réintégrer le scolasticat presque remis à neuf. Malgré ce rapide démarrage, le relancement de Louvain continuait à poser pas mal de problèmes. Il fallait subvenir aux dépenses courantes et assurer l'amortissement d'em-prunts, contractés en Hollande avant guerre, et dont la charge avait plus que doublé du fait de la dépréciation des monnaies belges et fran-çaises. D'autre part, les générations de scolastiques qui revenaient du front s'adaptaient difficilement à une discipline d'école. Mais la bonne humeur du P. Christen, son savoir-faire, son exemple surtout facili-tèrent le retour à la normale. En tout cas, ce fut avec un regret una-nime qu'on apprit que les Supérieurs agréaient son départ en Mission. Le futur missionnaire suivit pendant quelques mois des cours de mé-decine coloniale à Bruxelles, ce qui lui valut le diplôme d'infirmier dont il devait tirer bon parti au Congo.
En 1925, le P. Christen s'embarqua à Anvers pour voguer vers le continent noir. En mars 1926, il fut chargé de la Procure de la Mis-sion à Stanleyville et associé au P. Lapointe pour le service de la paroisse et l'apostolat en brousse. La charge de Procureur représentait alors rien moins qu'une sinécure. Les approvisionnements venaient en grande partie de Belgique avec une lenteur assez marquée. Mais le Père s'acquitta de sa charge à la grande satisfaction de tous. Quand il se fut agi, en 1928, d'organiser et de préparer à Saint-Gabriel l'as-semblée générale des supérieurs des missions du Congo, Mgr Grison fit appel aux talents du P. Christen. « Garnir 25 chambres dont une quin-zaine pour des évêques, trouver des vivres pour une trentaine de per-sonnes pendant un mois, me donna bien du tintouin... Il paraît même que tout a été pour le mieux puisque tous songent à revenir à Saint--Gabriel pour le prochain synode ». Peu après le Père fut une nouvelle fois mis à contribution pour préparer à Saint -Gabriel la réception de LL. MM. le Roi Albert et la Reine Elisabeth. Inutile d'ajouter qu'elle fut réussie. En l'absence du P. Lapointe en tournée apostolique en brousse, tout le travail de l'importante paroisse de Stanleyville où se trouvaient de nombreux convertis, plusieurs œuvres paroissiales, un couvent de Religieuses et deux de Frères, incombait au P Procureur. Trois fois par an, il prenait à son tour le chemin de la brousse pour un mois. En 1934, le Père prit en Europe un congé bien mérité. En 1935 il fit paraître une étude sur les « Mambela et Anyotos » où il tente de jeter quelque lumière sur les rites d'initiations en usage chez les Babali et la redoutable secte secrète des « hommes-léopards ». En 1936, Mgr Verfaillie, qui, depuis 1934 avait pris la succession de Mgr Grison, confia au P. Christen la fondation du nouveau poste de Ba-tama, où il œuvra d'abord avec le regretté Fr. Jacques Bosmans, décédé en 1947 des suites de la lèpre, puis avee le P. C. Janssen. Victime d'un accident d'auto en 1938, le P. Christen fut hospitalisé à Stanleyville. C'est là qu'il apprit une bouleversante nouvelle. En effet, le T. R. P. Govaart se souvint de son compagnon tant estimé de Louvain pour la charge de supérieur du Scolasticat de Lille et envoya une lettre en ce sens à Mgr Verfaillie et à l'intéressé. Monseigneur attendit la réaction de son missionnaire et patienta. A Rome on s'inquiétait de ce retard. La lettre destinée au P. Christen partit pour Batavia (l'actuelle Dja-karta) et mit tout un temps à trouver l'obscure Batama. « Après le choc physique, le choc moral », écrit le Père. A peine rétabli, il boucla ses valises, la mort dans l'âme, mais courageusement. Seule l'obéissance religieuse qui lui était sacrée, le décida à ce pas difficile. Mais jusqu'à la fin de sa vie, il restera attaché à sa chère mission du Congo par toutes les fibres de son cœur apostolique. En janvier dernier il écrivit:
«Nous sommes encore sous le coup de la douloureuse tragédie dont nos deux missions du Congo ont été le théâtre. Comment ne pas pleu-rer devant cette hécatombe des nôtres, comment ne pas pleurer en songeant aux milliers de chrétiens sans pasteur, aux ruines accumulées, à cette chère mission des plus florissantes, l'orgueil déjà de notre vénéré Fondateur et depuis de toute la Congrégation ? Et quand on a contribué pour une faible part à cette œuvre splendide, aujourd'hui en ruine, œuvré, peiné, arrosé de sa sueur, mais aussi connu tant de con-solations, vous comprenez, mon Père, que la douleur d’un vieux mis-sionnaire comme le P. Christen, dépasse encore — si on peut dire — celle, immense déjà, des autres... ».
A peine revenu en France, le nouveau supérieur prit en main la direction du scolasticat de Lille. Les perspectives étaient sombres, une nouvelle guerre mondiale se préparait. En 1939, les troupes alle-mandes franchirent la frontière polonaise. La France, avec l'Angleterre, déclara la guerre à Hitler et décréta la mobilisation générale. Des 92 prêtres que comptaient la province française, 33 furent appelés sous les drapeaux. En ce moment, les 79 scolastiques passaient les vacances dans leur maison de campagne à Dieudonne avec le P. Christen. Plus de la moitié montèrent au front, 10 allèrent remplacer dans les écoles les professeurs mobilisés, 16 autres reprirent leurs études à l'Université de Lille sous la responsabilité du P. Eug. Rabot. Comme le contrat de louage du scolasticat de Lille allait expirer en 1940, il fut décidé que les 10 scolastiques restants demeureraient avec le P. Christen à Dieu-donne en attendant la suite des événements. C'est là que quelques se-maines avant l'invasion allemande, le P. Christen reçut sa nomination comme supérieur de la Province française. Et ce fut peu après le grand bouleversement. A l'approche de l'ennemi, presque toutes les commu-nautés du nord, Viry-Châtillon, Amiens, Dieudonne, Blaugies, se re-plièrent sur Neussargues (Cantal). Peu après vinrent s'y ajouter les scolastiques de Louvain et quelques Pères et élèves de Burnot. Ce n'était pas une mince affaire de caser tout ce monde! En juin 1940, la France déposa les armes et la plupart des mobilisés rentrèrent. La réorganisation de la province française posa de durs problèmes qu'il fallait résoudre d'urgence dans des conditions nouvelles et difficiles. On était à l'étroit à Neussargues, la seule maison importante en zone non occupée, le pays était coupé en deux, le noviciat d'Amiens était occupé par les militaires allemands, Dieudonne par des familles réfu-giées, le scolasticat de Lille fermé, l'Ecole de Blaugies, ,située en ter-ritoire belge, ne peut ouvrir ses portes à des sujets français. Le P. Christen acquit une maison à Busséol (Puy-du-Dôme) et y installa le noviciat. Peu après il loua le château de Saint-Cirgues (Clermont--Ferand) et y transféra le scolasticat. Le nombre croissant des candidats au sacerdoce amena une crise de logement et il fallut essaimer, les philosophes s'installèrent à Uriage (Grenoble) où les théologiens, à la fin des hostilités, vinrent les rejoindre, en attendant d'occuper tous le scolasticat de Lyon. Après le départ du scolasticat, le château de St-Cirgues n'abritait plus que les novices jusqu'à leur retour à Amiens après la guerre. Pendant toute la durée de la guerre, le P. Christen demeurait à Neussargues, et bien souvent la fameuse ligne de démarcation le vit, voyageur clandestin, passer d'une zone à l'autre
Le 21 mars 1946, après un double triennat difficile et mouve-menté le P. Christen céda la place au P. René Bouclier à la tête de la Province française. L'année suivante, le R. P. Govaart fut réélu supé-rieur général; un nouveau conseil lui fut adjoint et le P. Christen y entra comme assistant général. En cette qualité il entreprit plusieurs voyages en Afrique pour normaliser les relations entre la Curie Généralice et les missions africaines en constante évolution. En même temps il dirigeait la communauté de Rome comme supérieur local.
Après le décès du R. P. Govaart en 1954 et en attendant l'élec-tion du successeur, le P. Christen, en qualité de Vicaire général, assura l'intérim dans la direction de la Congrégation. A ce titre, il avait dans ses attributions la convocation et la préparation du chapitre d’élection duquel devait sortir en 1954 le R. P. Lellig comme supérieur général. Celui-ci mit immédiatement en exécution un projet élaboré par son prédécesseur, l'érection d'un secrétariat des missions et en confia la direction au P. Christen. A cette époque, la Congrégation travaillait dans le diocèse d'Aliwal, dans les Vicariats apostoliques de Stanley-ville, de Wamba, de Foumban, de Palembang et de Finlande, dans les préfectures apostoliques de De Aar et de Tandjung-Karang, et dans les missions de Mozambique et de l'Amérique du Nord. Le R. P. De Palma, devenu Supérieur général en 1959, maintint le P. Christen dans ses fonctions de secrétaire des Missions, tâche que celui-ci remplit avec toutes ses ressources d'esprit et de cœur jusqu'à la veille de sa mort.
En juillet dernier, le P. Christen se rendit à Vitorchiano pour y passer quelques semaines de vacances. C'est là que l'atteignirent les premiers symptômes du mal qui allait le terrasser Après un court séjour à Foligno, il vint à Ebikon (Lucerne) en attendant le moment de faire sa retraite annuelle. Avait-il le pressentiment de sa fin pro-chaine ? Le 17 août, 5 jours après son arrivée en Suisse, il dressa une liste des membres de sa famille avec adresses et numéros de téléphone et plaça la feuille en évidence sur sa table de travail. Le lendemain après une longue promenade à pied, il fut pris d'une nouvelle et dou-loureuse crise. L'intervention d'un urologue le soulagea. Peu après les douleurs reprirent de plus belle. Le médecin conseilla le transfert à la clinique Sainte-Anne à Lucerne. Le diagnostic révéla la nécessité d'une opération, mais en même temps un état général précaire, suite au grand âge et aux infirmités du patient. Une tachycardie vint compliquer les choses. Les piqûres et transfusions de sang s'avérèrent sans effet. Le 23 août l'aumônier de la clinique administra au moribond les sacre-ments des malades. Les douleurs étaient atroces. Pendant ses dernières heures, le mourant répétait aux PP. Dierker et Snijders qui le veil-laient: « Lasset uns ziehen in Frieden ! » (Allons en paix!). Le 24 août, tôt le matin, le P. Christen rendit son âme à Dieu.
Le P Christen avait rêvé d'une tombe sous un palmier d'A-frique. Or ce ne fut ni l'Afrique qui eu sa dépouille mortelle ni le Campo Verano, mais sa terre natale. Le T. R. P. Général, assisté de nombreux confrères, lui fit ses derniers adieux à Oberhergheim, le vendredi 27 août dernier. Ce fut â la date annoncée à son frère qu'il revint, mais c'était pour « rejoindre ses Pères », comme dit la Bible.
Inutile de dire que l'annonce de sa mort fut un deuil réel pour tous ceux qui l'avaient connu et apprécié. Le P. Christen avait une nature riche, très douée. Son affabilité, sa bonne humeur, sa ser-viabilité en faisait un confrère agréable en communauté et un réel appui pour ses Supérieurs. C’est dommage que sa formation culturelle n'ait pas été à la proportion de ses dons, du fait des circonstances de la guerre de 1914. Son influence et son rayonnement s'en seraient certainement accrus surtout dans les milieux de jeunes.
Le P. Christen était un religieux authentique, profondément consciencieux. Il continuait à appuyer sa vie spirituelle par les · exer-cices ~ traditionnels trop décriés. Il était fidèle à son oraison quoti-dienne, même en mission et en voyage. Il était fidèle à l'adoration quotidienne. Chaque samedi on le voyait descendre en ville pour aller voir son confesseur... Il était modeste, humble et pauvre. Comme Pro-vincial, on le voyait voyager dans de modestes conditions, une vétuste serviette de toile cirée sous le bras. Que de fois, lors de son économat à Louvain, on le vit aller emprunter une soutane ~« convenable » à l'un des scolastiques pour ses visites en ville. Il était exigeant pour l'obéis-sance, rendant lui-même un compte détaillé de ses activités à ses supérieurs. Pour lui, c'était un signe de non-vocation à l'état religieux que les manquements répétés à la disponibilité aux ordres des Supé-rieurs ou aux règles. On a conservé bon souvenir des visites canoni-ques que ses Supérieurs lui confièrent à diverses reprises: il prenait sa charge très au sérieux, agissant avec grand doigté et souplesse.
Il avait un culte pour le « Très Bon Père », comme il conti-nuait à dire. Un des bons souvenirs de sa vie avait été les deux mois passés à Saint-Quentin en la compagnie du Fondateur dont l'exquise gentillesse l'avait particulièrement séduit. Avec lui la Congrégation perd un témoin qualifié du second âge de son histoire.
(«Inter Fratres» N°43 nov. 65)

AVANT-PROPOS, EXERGUE - CAUSES INTRODUITES