« Notre civilisation s’enracine dans la chrétienté. C’est en regardant notre monde en termes chrétiens que j’ai été capable d’accepter les vastes changements qui l’ont secouée. L’acceptation provient de l’esprit de sacrifice : c’est là le message que tant d’œuvres mémorables de notre culture nous ont transmis. Or dans la culture chrétienne, les formes originelles du sacrifice sont la confession et le pardon. Ceux qui se confessent sacrifient leur fierté, tandis que ceux qui pardonnent sacrifient leur ressentiment, renonçant par là même à quelque chose qui était cher à leur cœur. La confession et le pardon sont les coutumes qui ont rendu possible notre civilisation.

Le pardon peut être accordé uniquement à certaines conditions : ce que fait une culture du pardon, c’est implanter ces conditions dans les cœurs des hommes. On ne peut pardonner à ceux qui nous ont offensés que s’ils reconnaissent leur faute. Cette reconnaissance ne s’obtient pas en disant « oui, c’est vrai, c’est ce que j’ai fait ». Elle requiert pénitence et expiation. Par ces actes d’humiliation volontaire, le fautif va à la rencontre de sa victime pour rétablir l’égalité morale qui rend possible le pardon. Dans la tradition judéo-chrétienne, tout cela est bien connu, incorporé dans les sacrements de l’Eglise catholique tout comme les rituels et la liturgie de Yom Kippour. Nous avons hérité de ces sources religieuses la culture qui nous permet de confesser nos fautes, d’offrir à nos victimes une compensation et de nous tenir comptables les uns des autres dans toutes les matières où notre libre conduite peut nuire à ceux qui dépendent légalement de nous.

Le fait de devoir rendre compte, exigé dans les charges publiques, n’est qu’une des manifestations de cet héritage culturel, et nous ne devrions pas nous étonner que ce soit le premier élément à disparaître lorsque les utopistes et les planificateurs prennent le pouvoir. Nous ne devrions pas non plus nous étonner qu’elle soit absente du monde des islamistes – même si le pardon a une place importante dans la pratique de l’islam et dans la moralité du Coran. Ce que nous découvrons à la suite du « Printemps arabe » est la réalité intérieure de Gouvernements où le pouvoir était la seule marchandise. Et cette expérience nous rappelle une vérité importante, celle qu’un Gouvernement responsable de ses actes ne naît pas des élections. Il naît du respect de la loi, de l’esprit public et d’une culture de la confession. Penser qu’il n’y a qu’une connexion accidentelle entre ces vertus et notre héritage judéo-chrétien, c’est nager en plein délire. C’est faire l’impasse sur une culture qui s’est concentrée, au fil des siècles, sur la question de la repentance. Le comprendre pour ma propre vie m’a permis de le comprendre d’autant plus clairement pour le contexte politique. C’est précisément cette dimension de la condition humaine que niaient les systèmes totalitaires du XXe siècle. Et c’est le désir de nier cette dimension qui sous-tend le tournant antichrétien qu’a pris l’Union Européenne et la dictature sournoise de ses élites. »

Roger Scruton