« La voie des paysans – D’un commerce équitable à un marché juste »

Frans Van der Hoff, prêtre du Sacré Cœur (dehonien), a publié aux Editions Actes Sud, en septembre 2019 « La voie des paysans –D’un commerce équitable à un marché juste ». Cet essai de quelques 150 pages a été initialement écrit en espagnol et publié au Mexique.

Sa publication en français –avec une traduction parfois un peu difficile- arrive à un moment où notre pays, comme beaucoup d’autres, traverse une véritable crise de représentativité en même temps que se développe une prise de conscience de plus en plus vive des questions de l’écologie et de la production biologique.

Un peu à l’instar du pape François dans Laudato si’, Van der Hoff constate la remise en cause dans nos sociétés de la démocratie supposée « représentative » qui non seulement ouvre la voie à une ploutocratie de plus en plus irresponsable et méprisante des droits humains mais détruit chaque jour d’avantage notre Terre.

S’appuyant sur son expérience de prêtre-ouvrier qui a vécu et travaillé pendant quelques 40 ans, avec des petits paysans producteurs de café dans la région de Oaxaca (Mexique), Frans Van der Hoff témoigne de la façon dont des petits paysans, sans moyens, ont réussi à mettre en place un mouvement garantissant un marché plus juste et plus solidaire en même temps qu’un véritable art de vivre.

Il montre en particulier comment ces paysans, parmi les plus pauvres, vivent des valeurs essentielles faites de simplicité, de solidarité, de respect de la nature et de ses rythmes.

Pour Van der Hoff, ces vies paysannes, ces façons d’être et de vivre sont, pour notre humanité, de véritables chemins d’avenir respectueux de la nature et des êtres humains. Elles interpellent et montrent la vacuité de notre pensée unique rationnelle occidentale.

Van der Hoff nous invite à « marcher vers un nouveau paradigme qui ne repose pas sur la maximalisation du profit ou sur le fait de se laisser conduire par des statistiques abstraites telles que le PNB mais qui se préoccupe de notre être tout entier, nature et esprit, de la qualité de notre vie, de celles des nouvelles générations et de celle de la nature…

« La contribution des peuples autochtones se trouve dans l’intégration de trois facteurs : la lutte contre l’exploitation, la lutte contre la violence par la résistance active et la lutte pacifique pour le respect de la nature et de l’environnement…. La question écologique, associée aux questions de justice et de paix, donnent une nouvelle dimension à la lutte pour la vie et contre les forces de la mort et de la misère. La violence qui touche la vie humaine en termes d’injustice, d’oppression ou d’exclusion a les mêmes racines et les mêmes effets que la violence utilisée contre la nature »

Dans ces analyses et propos, il y a comme la fraîcheur d’un souffle évangélique qui vient de l’expérience humaine d’un disciple du Christ. Frans Van der Hoff connaît la « joie de l’évangile » parce qu’il sait percevoir dans la vie de ses amis paysans les signes du Royaume.

Certes, dit-il, « nous n’allons pas créer un paradis sur Terre mais ne vaut-il pas mieux rêver éveillé que de continuer à accepter l’exploitation dans l’obscurité ? »

Bernard Massera

Petite biographie de Frans van der Hoff 

Frans van der Hoff est né en 1939 dans une famille de paysans pauvres du Brabant, aux Pays-Bas, au milieu de seize frères et sœurs. Bon élève il fait ses études secondaires en internat. La congrégation lui apparaissant « tournée vers l’aide aux plus démunis » il fait profession le 8 septembre 1962. Il fait ses études de philosophie et théologie à l’Université de Nimègue où il participe activement aux mouvements contestataires du moment. Il est ordonné prêtre le 20 avril 1968. Docteur en théologie et en économie politique, il enseigne quelques temps à Ottawa (Canada)

En 1970 van der Hoff part comme prêtre-ouvrier dans une mine au nord de Santiago du Chili. Le coup d’État de 1973 qui renverse le président Allende le contraint à fuir et à se réfugier au Mexique. Logeant dans un bidonville de Mexico, il travaille dans une usine d’automobile d’où il est renvoyé pour « activisme syndical »

Pour l’éloigner autant que pour préserver sa sécurité, on l’envoie dans le diocèse d’Oaxaca. Et là, dans les montagnes de l’isthme de Tehuantepec, il se sent profondément chez lui. Il partage la misère des Indiens zapotèques, «sa deuxième famille». Avec eux, il devient caféiculteur, survivant avec deux dollars par jour. «J’ai découvert que l’Occident ne savait pas grand-chose. J’ai absorbé beaucoup de la sagesse des indigènes, une autre perception de l’homme, l’art de la survie.».

Il est de la réunion fondatrice de 1981 où une centaine de paysans se livre à une «analyse de la réalité» et jette les bases d’un commerce équitable, en marge du marché international, avec le minimum d’intermédiaires. C’est l’acte fondateur d’Uciri (Unión de Comunidades Indígenas de la Región del Istmo). Cette coopérative va permettre de contourner les gros commerçants (appelés « coyotes ») qui exploitent les paysans producteurs et qui iront jusqu’à assassiner des leaders paysans pour tenter dissuader l’organisation paysanne.

La coopérative, au fonctionnement démocratique et participatif, centralise le café, organise la vente directe, utilise une partie des bénéfices pour des programmes sociaux ou éducatifs. Le « padre », diplômé en économie, apporte sa connaissance des marchés internationaux. Par son charisme et son sens de l’organisation, il réussit à fédérer des milliers de paysans dans un cadre qui mêle action collective et responsabilité individuelle du producteur.

À la fin des années 80, quand il faut trouver des débouchés pour ce café dans les pays occidentaux, Frans Van der Hoff s’associe à une ONG néerlandaise pour fonder Max Havelaar, du nom d’un héros de roman hollandais du XIXe siècle qui dénonçait l’exploitation coloniale dans les Indes néerlandaises. Il amorce la diffusion du café de la coopérative, sur un modèle qui essaimera dans d’autres pays.

Aujourd’hui Frans van der Hoff n’a plus de responsabilité. Il vit au cœur du village de la vente de tomates et des œufs de ses poules. Il participe à l’animation de la communauté chrétienne.

Quand on l’interroge sur la coopérative et ses prolongements, il refuse de parler de succès, malgré une présence de Max Havelaar dans 80 pays, quelques 4 milliards de chiffre d’affaires et 1,5 million de familles de petits producteurs qui en bénéficient. Il refuse de parler de succès parce que les pauvres sont toujours pauvres, que 3 dollars par jour pour vivre, c’est mieux, mais encore insuffisant, que «la misère reste la misère». Mais aussi parce qu’il a peur que le commerce équitable, en se diffusant trop, ne perde son âme. Il voit les «multinationales de l’alimentation» tourner autour des petits producteurs, en tirant les standards vers le bas. Et les géants du café, peu soucieux du social, exploiter le filon de l’équitable. Le genre de danger qui lui fait perdre son calme, élever la voix. «C’est absurde. On va demander les solutions au diable alors que c’est lui qui a créé le problème.»

Prix et distinctions de Frans van der Hoff Boersma

2005 : Nommé Chevalier de la Légion d’Honneur par le Président de la République française Jacques Chirac.

2006 : Prix « Nord Sud » du Conseil de l’Europe

Nommé commandeur de l’Ordre de la Couronne (Belgique) par le ministre belge de la Coopération et du développement.

Doctorat honoris causa de l’Université Catholique de Louvain (Belgique) pour ses efforts visant à établir une « Autre économie ».

Reçoit le Groeneveldprize de la Fondation Groeneveld aux Pays Bas pour ses efforts particuliers de la nature et de la préservation de l’environnement.

2012 : Docteur Honoris Causa de l’Université de Nice Sophia Antipolis.