Le 4 septembre 2022, le supérieur provincial de la province Europe francophone des Prêtres du Sacré-Coeur, le Père Joseph Famerée, a présidé la célébration eucharistique à Bruxelles où le Frère Pierre Tran a prononcé ses voeux perpétuels. Après sa formation philosophique et théologique à l’Institut catholique de Paris, il a fait une année de stage dehonien au Vietnam et une année de stage pastoral à Bruxelles, avant d’être admis à la profession perpétuelle. De nombreux fidèles belges et vietnamiens étaient venus dans la chapelle du Couvent des Prêtres du Sacré-Coeur pour fêter avec le Frère Pierre cet événement important de sa vie religieuse dehonienne.
Homélie à l’occasion des vœux perpétuels du Fr. Pierre TRAN
(Eucharistie dominicale à Bruxelles, 4/09/2022)
Il est heureux, cher Fr. Pierre, que le 4 septembre, jour de profession de vos vœux, jusqu’ici temporaires, aujourd’hui perpétuels, tombe cette année un dimanche, car c’est le jour du Seigneur, le jour de Pâques hebdomadaire, le jour de la Résurrection. Vous allez ainsi pouvoir professer vos vœux définitifs pendant l’Eucharistie dominicale de la communauté religieuse, élargie aux fidèles de notre chapelle, où vous avez fait une année de stage dehonien préparatoire, précisément dans le couvent même où le P. Dehon, le fondateur de notre Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur, est décédé ou est entré dans la vie éternelle le 12 août 1925, ici même où il a si souvent célébré la messe. Le fait que vous professiez vos vœux au cours d’une Eucharistie dominicale dans ce couvent de Bruxelles souligne que vos vœux vous intègrent, dans ce cas-ci définitivement, à notre congrégation religieuse, que, tout en étant un engagement personnel, ils se situent dans un cadre collectif, communautaire, ecclésial.
Par ailleurs, nous avons gardé bien sûr les lectures de ce 23e dimanche du temps ordinaire, persuadés que la Parole de Dieu du jour a toujours quelque chose d’approprié à nous dire pour nourrir et soutenir notre vie quotidienne.
Ainsi l’Évangile d’aujourd’hui peut-il paraître à première vue ne pas avoir de rapport direct avec la circonstance de ce jour. Et pourtant : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. » Ces paroles de Jésus, il est vrai, s’adressent à tous ses disciples, non seulement aux religieux. Tous les disciples de Jésus sont appelés à préférer le Christ à tout, même aux membres de leur famille, parents, conjoint, enfants, frères et sœurs. A fortiori, dirais-je, les religieux et religieuses, de manière radicale. Les religieux et religieuses ne quittent-ils pas leur famille, ne prennent-ils pas distance vis-à-vis d’elle pour suivre le Christ là où la mission de leur Ordre ou Congrégation les conduira. « Ne rien préférer à Jésus Christ », dit la Règle de S. Benoît. C’est une exigence pour tout chrétien, mais que le consacré doit vivre d’une manière radicale. Les renoncements nécessaires pour choisir le Christ, son Royaume, c’est cela porter sa croix en marchant à la suite de Jésus. Ces renoncements s’expriment notamment à travers les trois vœux de religion.
Selon une compréhension des vœux que j’apprécie personnellement, et que j’aime rappeler en des occasions comme celle-ci, le vœu de célibat consacré n’exprime-t-il pas la foi et l’espérance que, dans le Royaume, l’amour du prochain ne sera pas limité à quelques proches ou privilégiés, mais sera un amour sans frontières, un amour de fraternité universelle ? Et n’est-ce pas ce que l’on s’efforce d’anticiper dans une communauté religieuse entre frères qui ne se sont pas choisis ? Le vœu de célibat nous trace aussi un engagement apostolique, en nous envoyant prioritairement vers ceux qui sont seuls, abandonnés, exclus de la société…
Le vœu de pauvreté n’exprime-t-il pas la foi et l’espérance que, dans le Royaume, plus personne ne manquera de ce dont il a besoin pour vivre dignement et humainement ? Et n’est-ce pas ce que l’on s’efforce d’anticiper dans une communauté religieuse entre frères en mettant en commun nos biens et ce que nous gagnons ? Le vœu de pauvreté nous trace aussi un engagement apostolique, en nous envoyant prioritairement vers ceux qui sont démunis et manquent du nécessaire pour vivre…
Enfin, le vœu d’obéissance, parfois le plus difficile à pratiquer, le vœu d’obéissance à la volonté de Dieu discernée en communauté, et non de manière individualiste, n’exprime-t-il pas la foi et l’espérance que, dans le Royaume, les relations entre humains ne seront plus des relations de pouvoir et d’oppression, mais des relations de fraternité et de confiance ? Et n’est-ce pas ce que l’on s’efforce d’anticiper dans une communauté religieuse en acceptant de prendre ses orientations de vie et d’apostolat en dialogue avec ses frères, notamment les responsables de la communauté ? Le vœu d’obéissance nous envoie aussi en priorité vers ceux qui sont écrasés par les pouvoirs de toute sorte en ce monde…
Ces trois vœux, par lesquels nous nous efforçons de suivre le Christ de plus près et d’anticiper humblement le monde nouveau du Royaume et de la résurrection, nous sommes appelés à les vivre en des communautés vraiment fraternelles. Mais suivre le Christ, chercher le Royaume, vivre en communauté, ce n’est pas si simple. C’est pourquoi, le temps d’apprentissage de la vie religieuse et communautaire est long : une année de noviciat, puis au moins cinq ans de vœux temporaires, avant de s’engager définitivement. Il faut se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint, prier, méditer la Parole de Dieu, réfléchir, discerner si c’est bien ma voie… Comme le dit l’Évangile de ce dimanche, « qui est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? » Avant de s’engager, il faut calculer pour voir si on a suffisamment de ressources pour aller jusqu’au bout de la vie religieuse. Ceci est vrai aussi avant de prendre l’engagement du mariage, et plus généralement avant toute décision importante dans la vie. C’est la question de confiance qui est posée à tous les disciples par Jésus : « Es-tu vraiment prêt à me mettre à la première place de ta vie, et par le fait même à mettre tout le reste à la seconde place, sans le négliger pour autant? »
La première lecture, tirée du Livre de la Sagesse, nous rappelle aussi combien il est difficile et exigeant de découvrir les intentions de Dieu (sur notre vie), de comprendre les volontés du Seigneur. Tous, et plus particulièrement les religieux, nous sommes appelés à accueillir la sagesse que Dieu nous donne et l’Esprit saint qu’il nous envoie d’en haut. Mais pour cela, il faut prendre le temps de se mettre à son écoute dans le silence.
La vie religieuse, nous sommes aussi appelés à la vivre le plus authentiquement possible en communauté, en fraternité. Nous ne nous sommes pas choisis. Quelle que soit notre origine sociale (riche propriétaire ou pauvre serviteur comme Onésime dans la deuxième lecture de ce jour), quels que soient nos dons naturels, nos qualités ou nos défauts, nous sommes appelés à nous reconnaître comme frères dans le Christ et à vivre comme tels notre vie commune au service du Christ, de l’Église et du monde.
C’est dans la foi au Maître de l’impossible, dans l’espérance du Règne annoncé par le Christ et dans la charité fraternelle, don de l’Esprit, que je vais vous inviter, cher Pierre, à prononcer et surtout à vivre vos vœux définitifs.
Joseph Famerée, scj
Supérieur provincial EUF