Le Père Yves Ledure scj, philosophe, théologien et spécialiste de la spiritualité dehonienne nous a quittés le 5 septembre 2022. Il a été enterré dans son village natal Metzeresche. Lors des funérailles, le Père Joseph Famerée scj, supérieur provincial de la Province Europe francophone des Prêtres du Sacré-Coeur a prononcé l’homélie suivante:
Homélie prononcée à l’occasion des funérailles du P. Yves Ledure, scj
(Metzeresche, 9/9/2022)
« Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable ». La mort, l’immortalité, l’au-delà, tel a été certainement l’objet permanent de la méditation philosophique du P. Yves Ledure. Celle-ci n’a cessé de porter sur le corps et la corporéité de l’être humain, ainsi que leur limite radicale, la mort. Cette réflexion anthropologique (sur l’être humain), il l’a menée dans le contexte de la modernité, de la sécularisation et de l’indifférence religieuse. Sa grande préoccupation de chrétien, de religieux et de prêtre a été constamment de mettre en dialogue, de relier la culture moderne et le christianisme malgré le fossé qui avait pu se creuser entre eux, selon le titre de son avant-dernier ouvrage philosophique en 2010 : « La rupture. Christianisme et modernité ».
Et le christianisme, c’est plus spécifiquement sous l’angle de la spiritualité et de l’action du P. Léon Dehon, fondateur de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur, à laquelle il appartenait, et dont il fut provincial de France de 1981 à 1987, qu’Yves l’a envisagé. La spiritualité du Cœur du Christ, la vie du Père Dehon, son engagement social, Yves y a consacré plusieurs ouvrages, trouvant chez le P. Dehon une réponse originale et profonde, enracinée dans le Christ, aux défis du monde contemporain. Pensée moderne (Nietzsche en particulier) et Dehon ont vraiment été les deux passions de sa vie tout au long de sa carrière universitaire à l’Institut Catholique de Paris depuis les années 1970, où il fut également doyen de la Faculté des Lettres, et à Metz depuis 1993 au Centre autonome d’enseignement et de pédagogie religieuse, dont il fut le directeur. Et dans la dernière livraison d’Inter Fratres, le bulletin de liaison de la Province Europe francophone, en juillet dernier, il venait encore de publier un article que l’on peut considérer comme son testament philosophique, intitulé « Le sentiment d’inachevé », suite à la lecture de ce qu’il considérait comme un grand livre « La paix avec les morts » de Rithy Panh, un survivant du massacre des Khmers rouges. « On dit, écrit cet auteur, qu’il existe encore une page, quand le livre est achevé ». Yves ajoutait : « Voilà donc ma page dans l’attente de l’achèvement… »
L’achèvement est arrivé, et nous pouvons le lire à la lumière de l’Écriture sainte, comme Yves l’a si souvent fait lui-même à propos de sa propre vie et de la spiritualité du P. Dehon. « La vie des justes est dans la main de Dieu », pouvons-nous méditer dans le livre de la Sagesse. Au-delà de l’énigme philosophique de la mort, il en était convaincu, l’être humain est un être pour la vie (Sein zum Leben), pour la vie de Dieu, pour l’éternité. « Celui qui ne réfléchit pas, écrit encore l’auteur de la Sagesse, s’est imaginé qu’ils étaient morts ; (…) quand ils nous ont quittés, on les croyait anéantis, alors qu’ils sont dans la paix. (…) par leur espérance, ils avaient déjà l’immortalité. (…) ceux qui sont fidèles resteront avec lui dans son amour ».
Oui, telle est la foi, l’espérance chrétienne, celle du P. Ledure et la nôtre : la mort ne peut être le dernier mot de l’existence humaine. L’espérance, la confiance ne peuvent décevoir. Si je dis à quelqu’un : je t’aime, écrivait l’existentialiste chrétien Gabriel Marcel, j’exprime par le fait même un vœu d’éternité, le vœu que cet amour ne cesse jamais. Il en va de même, et a fortiori, avec le Dieu de Jésus-Christ : « ceux qui sont fidèles resteront avec lui dans son amour ». Notre confrère l’a bien exprimé dans son livre « Comme un soleil ardent. Mort et résurrection ».
Oui, pour le chrétien, il ne s’agit pas tant d’une immortalité de nature que d’une immortalité de grâce et de don, une immortalité de relation : « Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure » (Ps 22). « La volonté de mon Père, dit Jésus dans l’Évangile selon Jean, c’est que tout être humain qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour ».
Comme s’exclame aussi Paul dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, « si nous avons mis notre espoir dans le Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus à plaindre de tous les humains. Mais non ! le Christ est ressuscité d’entre les morts, pour être parmi les morts le premier ressuscité ».
Telle était la conviction profonde de Yves, telle est aussi la nôtre. Aussi est-ce en toute confiance et sérénité que nous remettons Yves à la miséricorde du Seigneur. Au cours de cette célébration, nous prions pour lui et nous lui demandons aussi de prier le Seigneur pour nous. Amen.
P. Joseph Famerée, scj
Provincial EUF
Quelques titres de sa riche bibliographie.