Jean Biondaro est né le 7 décembre 1924 à San Giovanni, un gros bourg d’Italie du nord. Comme de très nombreuses familles italiennes de l’époque, les Biondaro émigrent. Ils s’installent à Froidcul (57) dans la vallée de la Fensch. Son père et ses cinq frères travaillent dans les mines de fer. Jean va quelque temps partager la condition des mineurs avant de se préparer à devenir Prêtre du Sacré-Cœur. Il fait sa profession religieuse à Busséol le 29 septembre 1943. Il est ordonné prêtre le 1er juillet 1951 à Lyon.
En juin 2010, Jean nous résumait son parcours
« Après mon ordination en 1951 et jusqu’en 1971, au scolasticat de Lyon, j’ai assuré l’accueil, la quête, le secrétariat de la revue « Le Règne » et l’accompagnement des frères avec un ministère en paroisse.
En 1971 j’ai été appelé à St Quentin. J’y suis resté jusqu’en 1990. C’est là que j’ai vraiment commencé à découvrir la vie religieuse SCJ. Une vie de communauté avec une mission SCJ. et la responsabilité du ministère paroissial.
De 1990 à 2004 dans la communauté de Massy-Les Ulis: envoyé par l’Evêque au service de la ‘’Mission Ouvrière’’: présence dans la vie du quartier, service du GREPO (Groupe de Recherche en Pastorale Ouvrière), des mouvements apostoliques et du ministère paroissial.
Ces années à St-Quentin et à Massy m’ont permis très fort, de vivre, en communautés fraternelles, la recherche de ‘’communion dans le Christ au service d’un monde nouveau’’
A 80 ans, en 2004, j’ai décidé, en dialogue avec mes confrères, de rejoindre Mougins. Ça représentait une rupture importante avec les communautés de la Mission Ouvrière, le peuple de Massy et environs, l’Eglise locale et sa mission.
Mais, il me semblait que l’étape de la vieillesse (la retraite) représentait une rupture dans la vie, et que la Province proposait la communauté de Mougins comme lieu de vie pour les religieux âgés …. »
De tout ce parcours, je retiendrais quatre aspects.
Jean avait le souci de celles et ceux que nous appelons les « petits », les gens ordinaires, le monde des travailleurs dont il était issu.
« Le service de la justice auprès de plus petits – la fraternité qui se construit grâce à l’étranger – faire communauté d’Eglise sont pour moi des points d’attention » écrivait-il.
A Lyon, au scolasticat, il accompagnait la vie et la prière des frères qui étaient au service des étudiants et des enseignants. Par son ministère paroissial il se faisait attentif à la vie des travailleurs du quartier de La Plaine et je me souviens qu’il suivait avec intérêt la grève des ouvriers de la Rhodiaceta.
A Saint-Quentin, il était proche de cette bande de jeunes un peu livrés à eux-mêmes qui « squattaient » la petite allée devant le presbytère. Il avait aussi rapidement rejoint les quelques habitants du quartier qui cherchaient à créer une association pour avoir le tout-à-l’égout et un ensemble d’équipements « comme dans tous les quartiers ».
A Massy, c’est à la maison des jeunes et à l’amicale des locataires qu’il trouvait sa place dans un quartier populaire quelque peu isolé et loin de tous services…
A Mougins, nous confiait-il, « les retraités, malades, handicapés souvent avec de lourds handicaps sont mon prochain au quotidien. Vivre-avec à table au réfectoire, dans les couloirs, dans l’organisation de la vie commune … c’est ma mission première ! »
Jean avait le souci de partager la Bonne Nouvelle et de la rendre audible. Vivre l’évangile au milieu du peuple des petits, comme Jésus en Palestine était son chemin naturel. Il le vivait avec bonheur et simplicité. Les chemins de la mission ouvrière le passionnaient. Mais il n’oubliait pas ses responsabilités paroissiales où il devait animer des célébrations, donner une homélie, expliquer un sacrement… D’où son implication dans le GREPO… Mille fois il reprenait à zéro ses préparations liturgiques car il ne les trouvait jamais assez compréhensibles, assez proches de la vie des personnes … ni assez belles avec des chants et des prières qui pouvaient parler y compris à celles et ceux dont l’Eglise est habituellement loin…
Jean avait le souci du partage dans une communauté fraternelle. Partager ce qui faisait sa vie, son vécu, écouter et entendre ce que ses confrères vivaient étaient des réalités qui l’habitaient. Ce n’était pas là curiosité ou bavardage mais simplement chemin de la rencontre du Seigneur dans l’ordinaire de la vie pour « l’apporter comme une offrande agréable au Seigneur » et en rendre grâce dans l’Eucharistie communautaire… A Saint-Quentin comme à Massy, c’était pour lui des temps privilégiés et nourrissants …
A Mougins même, il se réjouissait de « participer à une rencontre de « Révision de vie » avec trois prêtres diocésains dont le P. André Renard responsable diocésain de la Mission Ouvrière et le Père Hilger. Nous nous réunissons ici à la Maison Jean Dehon » Et lorsque ces rencontres ne furent plus possibles, il n’eut de cesse d’imaginer et de proposer des temps de partage et de célébration aux confrères de la maison…
« En partageant, expliquait-il au groupe des petites fraternités en monde ouvrier, nous avons la chance de mener un combat solidaire dans la société pour un monde plus juste et fraternel, avec les pauvres, les fragilisés, avec l’Homme au cœur de tout projet. C’est un combat personnel à mener en soi-même et avec les autres. C’est une Foi et une Espérance que la vie et le monde peuvent changer, peuvent être améliorés, que c’est possible même avec les fragilités de la vieillesse : croire à l’amour capable de changer la vie et de lui donner du sens.
La Foi en Jésus-Christ mort et ressuscité : il nous associe à son combat contre le mal et nous donne de ressusciter aujourd’hui par l’amour, la vie donnée. Les actes quotidiens peuvent devenir des passages de la mort à la vie, dès aujourd’hui, par l’amour de Dieu et du prochain. Nous pouvons contribuer à construire une vie plus belle par nos petites actions du quotidien et espérer, avec le Ressuscité, en un monde réussi, avec Lui au bout du chemin »
Jean enfin respirait la joie, le bonheur, la convivialité… Il aimait préparer quelques bons plats, lever son verre pour une fête ou un anniversaire … Son rire secouait la maison et il avait toujours facilement une bonne blague à raconter… Mama mia ! Le récit de son « service militaire » avec la nuit de garde et la remise de son « certificat de bonne conduite » pouvaient durer et durer avec sans cesse de nouveaux détails… Quant aux parties de belotte, elles étaient pour lui des plus sérieuses et nous ne pouvions en rire qu’une fois les jeux faits !
Jean est aujourd’hui au Paradis. C’est sûr ! Il doit avoir retrouvé d’innombrables frères et sœurs, dont son vieux complice Joseph Tapin… Sûr que si ces deux-là ont un jeu de cartes, le ciel tout entier doit éclater de rire !
Bernard Massera, 26 décembre 2022
Homélie prononcée lors des obsèques
du P. Giovanni (Jean) Biondaro, scj
(Mougins, 27 décembre 2022, 14h30)
1 Jn 3, 14.16-20 ; Ps 129 ; Jn 12, 23-26
Le Père Jean Biondaro était devenu le doyen de notre province religieuse depuis le décès du Frère Michel Poirier le 12 août dernier. Jean avait 98 ans accomplis depuis le 7 décembre. 98 ans ! « 70 ans, 80 pour les plus vigoureux », dit modestement le psaume. 98 ans : repu d’âge, de sagesse et de bonté, le P. Biondaro s’en est allé, étant resté lucide jusqu’à ses dernières semaines (j’avais encore pu parler avec lui lors de son dernier anniversaire), et nous célébrons ses funérailles le jour même de sa fête patronale (l’Apôtre saint Jean) en ce 27 décembre. C’est il y a 18 ans que Jean avait décidé de venir vivre sa vieillesse à la Maison Jean Dehon de Mougins.
Né à San Giovanni (Italie) le 7 décembre 1924, il prononça ses premiers vœux dans la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur le 29 septembre 1943 à Busséol (Auvergne). Il suivit deux années de philosophie à Uriage (près de Grenoble) de 1944 à 1946, puis étudia la théologie à Lyon de 1948 à 1952. Il y fut ordonné prêtre le 1er juillet 1951. Pendant de longues années, jusqu’au début de la décennie 1970, il vécut dans notre communauté de Lyon, où il s’occupait notamment de la quête auprès des bienfaiteurs et était particulièrement attentif aux frères coopérateurs, comme on disait alors. Puis, il remonte vers le Nord, à Saint-Quentin, lieu de notre fondation, où il sera le curé de la paroisse Saint-Martin de 1972 à 1990, à l’église Saint-Martin, voulue par le Père Dehon lui-même et où celui-ci est enterré. Le P. Biondaro rejoint alors au début des années 1990 la communauté de Massy dans la région parisienne (diocèse d’Évry-Corbeil-Essonnes), où il sera nommé par l’évêque responsable de la Mission Ouvrière Locale. Il y restera jusqu’en 2004, quand il souhaita rejoindre la maison de Mougins.
Voilà donc une vie bien remplie de service évangélique, pastoral et social. Pendant plus de trente ans, à Saint-Quentin et à Massy, il fut un membre actif des fraternités de notre province en monde ouvrier : sens des pauvres, sens des causes de la pauvreté, sens de l’autre, du collectif… dans la ligne de notre Fondateur. J’insisterais peut-être sur sa proximité des gens, des petits tout spécialement, et sur son grand souci d’être compris de tous et donc accessible par le choix de ses mots (il pouvait remanier plusieurs fois une homélie, les textes d’une liturgie…). Aussi ai-je choisi en première lecture la première lettre de Jean (1 Jn 3, 14.16-20) : « Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. » Je pense que c’était une de ses convictions et de ses préoccupations les plus fortes depuis très longtemps et jusqu’à la fin : aimer ses frères, être bienveillant et souriant, favoriser la convivialité, la bonne humeur, être positif, c’est porteur de vie pour celui qui aime et celui qui est aimé. Les dernières années, avec la diminution du nombre de confrères SCJ ici à Mougins, combien de fois n’a-t-il pas dit que la vie fraternelle, l’échange et le partage entre religieux lui manquaient, ainsi que la prière communautaire, dont il aimait animer les chants ? Aimer ses frères, c’est aussi avoir de la compassion pour ceux qui sont dans le besoin : « Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? » Tels sont, me semble-t-il, des traits marquants de la vie, de la foi et de la spiritualité du P. Biondaro.
Il me semble aussi que, malgré quelques regrets liés à son âge vénérable, il acceptait sa situation avec ses fragilités croissantes, il savait que sa rencontre définitive avec le Seigneur se rapprochait de plus en plus et que, pour rejoindre beaucoup d’amis, il fallait consentir à perdre cette vie, à la donner. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, avons-nous lu dans l’Évangile selon Jean, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. (…) là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. (…) mon Père l’honorera. »
Je le crois et je l’espère, le Père Jean est vivant en son Seigneur ressuscité et a retrouvé la communauté de ses amis qui l’avaient précédé.
« Oui, près du Seigneur, est l’amour ; près de lui, abonde le rachat », avons-nous proclamé, confiants, avec le Ps 129. Nous pouvons aussi reprendre le répons de l’alléluia : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur. Qu’ils se reposent de leurs peines, car leurs actes les suivent ! » (Cf. Apoc 14, 13)
P. Joseph Famerée SCJ, Provincial EUF