Cher Joseph,

Après un an de préparation et de discernement avec votre maître des novices, le P. André Conrath, vous voici arrivé au moment du choix et de la décision : vous engager à suivre le Christ dans la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus, de Saint-Quentin.

Pour savoir dans quel esprit vous voulez le faire, il faut être attentif aux textes de l’Écriture que vous avez retenus pour cette célébration eucharistique, et peut-être d’abord à la première page de l’invitation que vous avez envoyée aux différentes communautés scj. Y apparaît en grand « Ecce Venio… », « Voici que je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté », un verset biblique cher à notre Fondateur, le P. Léon Dehon, ainsi d’ailleurs que l’« Ecce ancilla Domini » (« Voici la servante du Seigneur »), qui lui correspond, prononcé par Marie à l’Annonciation. L’« Ecce venio » vient de la Lettre aux Hébreux, qui le met sur les lèvres de Jésus entrant en ce monde :

« Voici que je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté ». Cher Joseph, vous exprimez par là toute votre bonne volonté, toute votre disponibilité pour faire la volonté de Dieu.

En même temps, avec votre maître des novices, vous avez choisi comme première lecture de cette eucharistie le chap. 9 du livre de la Sagesse :

« Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? Qui peut découvrir les intentions de Dieu ? »

Même si l’on est prêt à faire la volonté du Seigneur, il faut accepter qu’on ne la connaît pas vraiment, il faut sans cesse la chercher tout au long de sa vie. N’est-ce pas là le sens même de la vie chrétienne, et de la vie religieuse en particulier ? Chercher le Seigneur jusqu’à ce qu’on l’ait trouvé, et quand on l’a trouvé, le chercher encore, dirait saint Augustin. Oui, nous sommes appelés à être des chercheurs de Dieu, des découvreurs de sa volonté sur nous et sur le monde de notre temps.

C’est pourquoi, cher Joseph, pendant un an de noviciat, vous vous êtes assis (je reprends l’image de l’évangile de ce jour, selon saint Luc), avec votre maître des novices, « pour calculer la dépense et voir si vous aviez de quoi aller jusqu’au bout ». Pendant de longs mois de prière, de méditation, de discernement et de service, vous avez pu mesurer combien la suite du Christ, la sequela Christi, est exigeante, et même difficile.

« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère…, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. »

C’est pourtant cette voie que vous choisissez aujourd’hui de suivre, et de manière radicale en professant les trois vœux religieux de chasteté ou célibat consacré, de pauvreté et d’obéissance.

Ces trois vœux sont d’abord une imitation spirituelle du Christ célibataire, pauvre et obéissant à son Père. Ils ont aussi une signification eschatologique, car ils annoncent et anticipent le Royaume de Dieu de la fin de temps, la vie nouvelle de la résurrection (comme disait un jour feu le cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles, s’il n’y a pas de résurrection des morts, la vie religieuse n’a pas de sens). Tel est en effet le témoignage spécifique rendu par la vie religieuse ou consacrée dans l’Église et le monde de ce temps.

Ainsi le vœu de célibat consacré exprime-t-il la foi et l’espérance que, dans le Royaume, l’amour du prochain ne sera pas limité à quelques proches ou privilégiés, mais sera un amour sans frontières, un amour de fraternité universelle. Et c’est ce que l’on s’efforce d’anticiper dans une communauté religieuse entre frères qui ne se sont pas choisis. Le vœu de célibat nous trace aussi un engagement apostolique, en nous envoyant prioritairement vers ceux qui sont seuls, abandonnés, exclus de la société…

Le vœu de pauvreté exprime la foi et l’espérance que, dans le Royaume, plus personne ne manquera de ce dont il a besoin pour vivre dignement et humainement. Et c’est ce que l’on s’efforce d’anticiper dans une communauté religieuse entre frères en mettant en commun nos biens et ce que nous gagnons. Le vœu de pauvreté nous trace aussi un engagement apostolique, en nous envoyant prioritairement vers ceux qui sont démunis et manquent du nécessaire pour vivre…

Enfin, le vœu d’obéissance, parfois le plus difficile à pratiquer, le vœu d’obéissance à la volonté de Dieu discernée en communauté, et non de manière individualiste, exprime la foi et l’espérance que, dans le Royaume, les relations entre humains ne seront plus des relations de pouvoir et d’oppression, mais des relations de fraternité et de confiance. Et c’est ce que l’on s’efforce d’anticiper dans une communauté religieuse en acceptant de prendre ses orientations de vie et d’apostolat en dialogue avec ses frères, notamment les responsables de la communauté. Le vœu d’obéissance nous envoie aussi en priorité vers ceux qui sont écrasés par les pouvoirs de toute sorte en ce monde…

Ces trois vœux, par lesquels nous nous efforçons de suivre le Christ de plus près et d’anticiper humblement le monde nouveau du Royaume et de la résurrection, nous sommes appelés à les vivre en des communautés vraiment fraternelles. Et c’est là que nous retrouvons l’exhortation de la deuxième lecture d’aujourd’hui, la Lettre à Philémon:  « Accueille Onésime non plus comme un esclave, mais comme un frère bien-aimé ».

Quelle que soit notre origine sociale, quels que soient nos dons naturels, nos qualités ou nos défauts, nous sommes appelés, en tant que religieux, à nous reconnaître comme frères dans le Christ et à vivre comme tels notre vie commune au service du Christ, de l’Église et du monde.

C’est dans ce sens, dans cette foi, cette espérance et cette charité, cher Joseph, que vous allez à présent prononcer votre première profession religieuse et que tous les religieux ici présents vont pouvoir revivre intensément avec vous leurs premiers vœux.

Joseph Famerée, scj, Supérieur provincial EUF