Voici que la Vierge concevra et enfantera un Fils auquel sera donné le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous »  Is 7,14 et Mt 1,23

« Si Dieu n’a pas aussi pouvoir sur la matière, alors il n’est pas Dieu. » Joseph Ratzinger/Benoît XVI

Juste à temps pour l’Avent et les fêtes de Noël 2012 a paru le beau livre du pape Benoît XVI sur l’enfance de Jésus. Sa lecture est rafraîchissante, comme le remarque le cardinal Christoph Schönborn. Et comme toujours chez l’éminent théologien Joseph Ratzinger, le style est clair et limpide, le contenu précis et actuel, l’information communiquée précise et originale, les fruits pour la foi et la prière grands et bienfaisants.

Au dire de l’auteur, son livre L’enfance de Jésus n’est pas le troisième tome de son étude magistrale sur Jésus de Nazareth, mais bien « une porte d’entrée » dans les deux autres tomes. Car Benoît XVI cherche à « interpréter, en dialoguant avec des exégètes d’hier et d’aujourd’hui, ce que Mathieu et Luc racontent, au début de leurs Evangiles, sur l’enfance de Jésus », pour donner une réponse à la question récurrente des Evangiles:  Jésus, qui est-il ? d’où vient-il ? Les deux premiers chapitres de Matthieu et de Luc, avec leurs récits de la conception, de la naissance et de l’enfance de Jésus, ont comme objectif principal de répondre à ces questions d’identité. C’est pourquoi ils peuvent se comprendre comme une porte d’entrée dans l’ensemble de l’Evangile.  

Voyons par exemple les arbres généalogiques que dressent Matthieu et Luc. Leurs constructions stylisées finissent par montrer que Joseph est bien juridiquement le père de Jésus, mais que Jésus lui-même vient d’ailleurs, « d’en haut » – de Dieu le Père. Assumant en lui toute l’histoire de l’humanité, Jésus fait prendre à cette humanité un nouveau tournant, décisif, vers une nouvelle façon d’être personne humaine. Cette vérité est confirmée par l’Evangile de Jean qui dans son prologue affirme que la foi en Jésus nous fait naître de Dieu et nous donne ainsi une origine nouvelle.

Un deuxième chapitre analyse et interprète les deux annonces, celle de la naissance de Jean-Baptiste et celle de la naissance de Jésus. Ces récits évangéliques sont rédigés à l’aide de nombreuses citations bibliques. Ils naissent pour ainsi dire entièrement de la Parole, pour donner à cette Parole « sa pleine signification non encore reconnaissable auparavant ».

C’est en fait l’exégèse typiquement chrétienne : elle reste fidèle à la Parole originelle de l’Ecriture qu’elle cite, mais les événements autour de Jésus donne à cette Parole son sens plénier, comme le montre par exemple la reprise par Matthieu du signe prophétique de la Vierge qui enfante et qui met au monde le Sauveur. 

Avant d’entrer davantage dans les détails, encore une remarque sur Jean-Baptiste: selon le texte de Luc, il est de la famille sacerdotale de l’Ancienne Alliance, et c’est en tant que tel qu’il accueille Jésus au bord du Jourdain. Benoît XVI n’accentue pas de façon unilatérale l’opposition entre le culte sacrificiel vétéro-testamentaire et le culte spirituel de la Nouvelle Alliance. Au contraire, selon lui « l’Ancienne et la Nouvelle Alliance s’interprètent mutuellement, s’unissent pour former une unique histoire de Dieu avec les hommes. »

L’Evangile de Luc présente Jean-Baptiste comme le précurseur, à l’image du prophète Elie qui doit revenir pour annoncer l’arrivée de Dieu parmi son peuple. Par cette évocation du prophète Elie sont tacitement mises au même niveau la figure de Jésus et l’arrivée de Dieu lui-même. « Avec Jésus, le Seigneur lui-même arrive et il confère ainsi à l’histoire sa direction définitive. » C’est dire clairement la mission de Jésus et son identité.

Et l’annonce faite à Marie ? La vraie signification du salut de l’ange Gabriel, c’est bien « Réjouis-toi ». Avec ce souhait commence le Nouveau Testament, l’Evangile, la Bonne Nouvelle.

Pour comprendre la question mystérieuse que Marie pose à l’ange : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » alors que quelques lignes plus haut le texte évangélique parle des fiançailles de Marie avec Joseph, Benoît XVI refuse les explications exégétiques courantes. Il nous dit simplement que pour des motifs qui nous restent inconnus, Marie ne voit aucun chemin qui lui permette de devenir mère du Messie selon le mode du rapport conjugal. Aussi l’ange lui confirme-t-il qu’elle sera mère par l’ombre de la puissance du Très-Haut.

Ce mystère est aussi présent dans la relecture que fait du point de vue de Joseph l’Evangile de Matthieu des événements autour de l’enfance de Jésus. Au juste Joseph est révélé le nom, et par conséquent la mission et l’identité de l’enfant à naître : « Jésus » veut dire « Dieu sauve ». Faisant référence à la scène où Jésus dit au paralytique placé devant lui par les quatre porteurs : « Tes péchés te sont remis » (Mc 2), Benoît XVI insiste sur le fait que l’homme est un être relationnel et, en tant que tel, a besoin d’être sauvé. « Si la relation avec Dieu est perturbée, alors il n’y a plus rien qui puisse être vraiment en ordre ». Jésus vient pour réparer cette relation perturbée avec Dieu et avec la nature, mais aussi les relations perturbées entre les hommes. 

Concernant la mystérieuse prophétie d’Isaïe au sujet de la Vierge qui enfante, Benoît XVI la comprend comme une de ces Paroles en attente : elle n’est pas seulement adressée au roi Achaz ou à Israël où elle pourrait selon les différents avis des exégètes faire sens, mais elle concerne encore l’humanité tout entière. Matthieu, et à sa suite la théologie chrétienne, voit cette prophétie accomplie par la Vierge Marie qui enfante Jésus. Et Joseph Ratzinger reprend à son compte cette explication de Marius Reiser : « La prédiction du prophète est comme un trou de serrure miraculeusement prédisposé, dans lequel le Christ-clé entre parfaitement. »       

Loin d’être un mythe analogue à ceux trouvés dans les anciens textes égyptiens, grecs ou latins, l’enfantement virginal de Jésus est une réalité historique. A la suite de Karl Barth, Benoît XVI rappelle que la naissance par la Vierge et la résurrection du tombeau représentent « un scandale pour l’esprit moderne. On concède à Dieu d’opérer sur les idées et les pensées, dans la sphère spirituelle – mais non dans la sphère matérielle. Cela dérange. Là n’est pas sa place. Mais il s’agit justement de cela : c’est-à-dire que Dieu est Dieu, et qu’il n’évolue pas seulement dans le monde des idées. En ce sens, dans les deux points, il s’agit du même être-Dieu de Dieu. La question en jeu est : la matière lui appartient-elle aussi ? » Et le pape d’affirmer : « Si Dieu n’a pas aussi pouvoir sur la matière, alors il n’est pas Dieu. Mais il possède ce pouvoir et, par la conception et la résurrection de Jésus-Christ, il a inauguré une nouvelle création. »

Joseph Ratzinger/Benoît XVI n’ignore pas les différentes mises en question de l’exégèse moderne concernant le cadre historique, le lieu de naissance, les Mages, l’étoile, plus tard la fuite en Egypte, le retour à Nazareth… Dans son livre de synthèse, mais combien profond, il n’oublie aucun de ces points, et après discussion des arguments, il propose toujours une lecture bien en lien avec les sources, car de toute façon, les évangélistes étaient « toujours bien plus proches des sources et des événements que nous pouvons l’être, malgré toute l’érudition historique ».

Dans l’Epilogue, Benoît XVI relit ce qui se passe au temple de Jérusalem alors que Jésus avait douze ans. C’est là où devient évidente la véritable identité de Jésus. Il est libre, mais non pas d’une liberté libérale ou révolutionnaire : la liberté de Jésus, c’est bien plutôt la liberté du Fils. En tant que Fils, Jésus apporte une nouvelle liberté, « la liberté de Celui qui est totalement uni à la volonté du Père et qui aide les hommes à parvenir à la liberté de l’union intime avec Dieu ». C’est redire à nouveau sa mission auprès de l’humanité et sa véritable identité. 

Au temple à Jérusalem, nous apprenons que Jésus connaît bien le Père, il vit en sa présence. Mais l’Evangile nous fait aussi savoir qu’il croît « en sagesse et en taille ». Ces deux aspects pris ensemble montrent que Jésus est vrai homme et vrai Dieu, comme l’affirme notre Credo. « Nous ne pouvons définir, en dernière analyse, le profond entrelacement entre l’une et l’autre dimension. Celui-ci demeure un mystère, mais il apparaît de manière concrète dans ce récit sur l’enfant de douze ans – récit qui ouvre ainsi, en même temps, la porte vers l’intégralité de sa figure qui nous est racontée ensuite dans les Evangiles. » C’est sur ces mots que se termine le livre que le pape a conçu comme « une porte d’entrée » dans l’Evangile et dans ses deux tomes sur Jésus de Nazareth.

A tous je souhaite une bonne et féconde (re)lecture de ce beau livre riche et instructif.

P. Jean-Jacques Flammang scj

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