Du 20 au 25 juillet 2017, s’est déroulé le IIIe Séminaire théologique international triennal SCJ à Yogyakarta, en Indonésie.

C’était aussi la première fois que toutes les commissions théologiques continentales dehoniennes étaient réunies. Nous étions près de 60 de quelque 27 entités de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur. Les deux langues utilisées étaient l’anglais et l’italien.

Après le séminaire d’Alfragide, Portugal (Theologia cordis), et de Taubaté, Brésil (Anthropologia cordis), celui de Yogyakarta s’intitulait en traduction française : « Charisme et dévotions : vers une identité dehonienne inculturée ». La question posée est celle de l’identité dehonienne, de sa maturation et de son inculturation dans les différents contextes où nous sommes présents. On parle aussi d’interculturation pour signifier les indispensables échanges entre les différentes situations culturelles où nous vivons notre charisme. Précisément, poser la question de notre identité spirituelle, c’est aussi se demander comment s’articulent notre charisme et les différentes dévotions qui peuvent soutenir une vie spirituelle.

Les différentes commissions théologiques continentales ont présenté successivement leurs rapports préalables sur cette thématique, fruits de leur réflexion et d’un questionnaire proposé aux membres de chaque entité de la congrégation. Dans un souci de concision, mais aussi à titre d’exemple, je me limiterai au rapport de la commission théologique européenne, dont je reprendrai quelques idées.

I. Nous avons d’abord réfléchi sur les liens entre la dévotion et l’identité spirituelle.

Quel est le rôle de la dévotion ? Les réponses au questionnaire adressé aux Provinces européennes reconnaissent non seulement la légitimité, mais aussi l’importance de la dévotion. Le rôle de celle-ci est décrit en termes d’aliment, de soutien, de fondement de la vie spirituelle. Plus spécifiquement, les dévotions rythment et structurent la journée, lui donnant « forme ». Une minorité de réponses leur dénient un rôle décisif au sein de leur expérience de foi. Ainsi, selon un confrère, ce n’est pas de dévotions que nous avons besoin, mais de relations. Dans ce cas, les dévotions ne sont pas vécues comme une modalité de relations, mais plutôt perçues comme de pures formes extérieures.

Dévotion et dévotions. La majorité des réponses faisaient la distinction entre l’attitude subjective (intérieure) de la foi et son expression pratique. Tel est le critère fondamental pour discerner la qualité théologale des dévotions et leur pertinence ecclésiale : abandonner ce qui est trop formel et extérieur pour se réapproprier des formes vitales et significatives de la tradition dévotionnelle. Selon une réponse (de marque kantienne), la dévotion sans les dévotions est une forme vide et les dévotions sans la dévotion sont aveugles.

« Aujourd’hui, l’adoration eucharistique est appréciée surtout pour son caractère « synthétique » : dans le silence, elle réordonne la vie, les affects, les pensées en relation avec le Christ présent et vivant dans l’eucharistie. » 
Ici des jeunes en adoration lors des JMJ à Cracovie.

Éduquer à la dévotion, à la pratique dévotionnelle. Comment ? La pratique dévotionnelle est à mettre en relation avec la dimension « corporelle » de la foi chrétienne. Il ne peut s’agir d’un apprentissage purement intellectuel. Un aspect de cette éducation concerne le rapport à la tradition. On ne peut se satisfaire d’une simple reprise des dévotions anciennes sans une assomption critique de leur signification et du contexte dans lequel elles sont nées.

Dévotion entre individu et communauté. Dans l’enquête, la dévotion nourrit la vie individuelle de foi, mais est rarement vue dans une perspective communautaire. Serait-ce un symptôme supplémentaire d’une scission toujours plus marquée entre un sujet toujours plus privatisé et une communauté toujours plus externe et vécue comme pur lien formel ?

Dévotion, liturgie et société. Si la liturgie constitue un élément normatif de la foi ecclésiale et si les dévotions expriment la sensibilité personnelle (en lien avec la religion populaire), quelle influence mutuelle entre elles serait-elle souhaitable ? Et entre dévotions et société (contexte social) ?

II. Nous avons ensuite réfléchi sur la dévotion comprise dans un sens dehonien.

La référence au P. Dehon. Dans les réponses au questionnaire, les références aux écrits du P. Dehon et à sa figure sont plutôt rares, alors qu’en général, on se réfère à l’identité dehonienne. Il y a manifestement un déficit problématique de connaissance précise du Fondateur, de ses écrits et de son contexte historique, même si une forme de vie dehonienne est bien attestée. En revanche, on insiste beaucoup sur la lecture de l’Écriture sainte.

Que signifie une identité dehonienne ? Dans la vie religieuse aujourd’hui, il y a une certaine « uniformisation » spirituelle : on « oppose » beaucoup moins une spiritualité donnée à d’autres (carmélitaine, dominicaine, jésuite…). Une identité (religieuse également) est « ouverte », en communication, en développement : quels en sont les éléments charismatiques fondamentaux ? Quelle conscience avons-nous de ce processus de construction progressive ? L’identification au charisme (comme le rapport entre identité et dévotion) ne passe pas par la simple connaissance de textes (approche intellectuelle), mais par des formes de vie, des pratiques qui se reçoivent et se réélaborent à partir de la tradition dans laquelle on est inséré.

L’adoration eucharistique. Dans les réponses, celle-ci est perçue spontanément comme dehonienne. Pourquoi ? Parce qu’elle a été recommandée par le P. Dehon ou parce qu’elle dit quelque chose de nos attitudes de disponibilité et d’oblation ? Il serait intéressant de reparcourir la présence de l’adoration dans l’histoire de notre Congrégation. Aujourd’hui, l’adoration eucharistique est appréciée surtout pour son caractère « synthétique » : dans le silence, elle réordonne la vie, les affects, les pensées en relation avec le Christ présent et vivant dans l’eucharistie (cf. Constitutions SCJ, 17 et 31), à condition de maintenir le lien avec la célébration eucharistique comme telle.

L’acte d’oblation. Ici aussi, les réponses font souvent référence à l’acte d’oblation comme à une dévotion typiquement dehonienne et il serait intéressant d’étudier l’évolution de cette pratique, ainsi que de la formulation des actes d’oblation. À ce propos, on peut penser que la pratique édifie l’identité et que l’identité crée la pratique.

La dévotion au Sacré-Cœur. Un point récurrent est le caractère relationnel de cette dévotion et l’importance d’une spiritualité du cœur. Le Sacré-Cœur est perçu comme le centre de l’évangile et comme expression par excellence de l’amour de Dieu pour nous. Jésus est source d’amour, de miséricorde, de proximité. Le lien avec lui est de l’ordre de la contemplation et de l’union. Cette christologie est relationnelle.

Dévotion et contexte social. Le lien entre dévotion(s) et engagement social n’apparaît pas de manière évidente dans les réponses au questionnaire. Cette séparation entre spirituel et social, comment l’expliquer ? Parce que le contexte social semble avoir très peu d’incidence sur la structuration de l’identité dehonienne ? Si Dehon a vécu personnellement cette unité, elle n’est pas passée telle quelle à sa Congrégation. Chez Dehon lui-même, on observe une certaine tension, en ce sens que ces deux dimensions, pour lui, font partie du charisme, même s’il y a eu une évolution de sa pensée à cet égard. Ce lien a été récupéré par la Congrégation seulement après le concile Vatican II, alors qu’auparavant il n’avait jamais été mis en évidence comme tel, bien qu’il y ait toujours eu des confrères engagés dans des œuvres sociales.

Joseph Famerée, scj