Madrid, 5 avril 2020
Des-pa-ci-to
(Len-te-ment)
Lettre de Pâques en période de pandémie
Chers confrères :
En ce début de la Semaine Sainte, le chemin vers Pâques, nous vous saluons cordialement. Nous le faisons dans un contexte de la pandémie qui frappe notre monde et qui nous rappelle que nous sommes tous dans la même barque. Cette pandémie nous a tous surpris et nous sommes tous affectés. De façon particulière, nous saluons nos confrères, amis, familles et collaborateurs qui en souffrent de plus près. A tous, nous exprimons notre sympathie et notre proximité spirituelle.
Nous nous sentons vulnérables comme jamais auparavant. Les maux habituels tels que la famine qui ne cesse pas, le drame des réfugiés, les injustices quotidiennes de toutes sortes, les conflits ouverts dans beaucoup d’endroits, l’agression qui continue contre notre planète et tant d’autres situations inhumaines n’avaient guère obtenus une réaction mondiale comme celle-ci. La raison pourrait être que cette fois-ci nous sommes menacés de près, à la première personne : « ma vie » est en danger. Face à cela, la réaction mondiale parait inouïe : confinement, arrêt des activités – jusqu’à présent seulement les métiers «essentiels» –ont été laissés de côté; les rendez-vous et les calendriers ont été supprimés.
Néanmoins, le temps ne s’est pas arrêté. Nous savions que les jours de la Semaine Sainte et de Pâques seraient arrivés ; nous les attendions, certes, mais pas de cette manière. Nous avons contacté nos communautés des différents endroits et nous restons en communication avec de nombreux confrères. Un grand nombre d’entre-eux, en effet, sont en train de redécouvrir le don de la vie communautaire avec des moments de dialogue, de prière et de loisirs qui, du reste, n’étaient pas si courants au paravent. Certains confrères ne trouvent pas si facile d’être ensemble et confinés aussi longtemps ; ce sont des jours perdus et improductifs à leur avis : « il y a beaucoup à faire !». D’autres, malgré la mise en quarantaine, ils préfèrent « sortir » par le biais des médias et des réseaux sociaux plutôt que de « rester à la maison ».
Dans tous les cas, un bon nombre d’entre nous n’avons pas pu vivre ce temps de la manière dont nous avons prévu. Il semble que cette année, ces jours saints ont pris les rênes et veulent être les protagonistes, sans hâte ; ils veulent prendre leur temps. Cette Semaine Sainte et cette Pâques « veulent nous faire », lentement, plutôt que nous les fassions. Elles ne veulent pas être soumises à notre stress organisationnel si typique de ces dates. Qu’est-ce qu’elles auront donc planifiées pour nous en ces jours ? Quels seraient leurs plans ? Peut-être elles veulent que nous concentrions plus notre attention sur la manière dont Jésus a pris soin de lui-même et a réussi à sauver sa vie, tant de fois, menacée depuis ses débuts (cf. Mt 1,19 ; 2,13).
En effet, Jésus a pris très au sérieux sa vie. Il nous apprend que la vie est, certes, importante, elle est la chose la plus importante que nous possédons ! Il est grand temps de s’en occuper de tout cœur. Raison pour laquelle, Il l’appréciait et l’aimait, mais sans narcissismes égoïstes. Jésus aimait le trésor qu’il avait trouvé dans la vie : la vie du Père et la voie de la vie de tous (cf. Jn 17, 21). Il a donc fait tout ce qui était humainement possible pour la préserver et la défendre, et il en a réussi ! Comment ? En l’offrant au Père, en la donnant à ceux qui s’opposaient à lui, en la donnant à toute l’humanité.
Partant de la situation à laquelle nous faisons face en ce moment, il sied de rappeler que même Jésus, né d’une femme, a fait de sa vie une longue et rigoureuse quarantaine : il n’a pas quitté les confins de ce monde prématurément, ni ne s’est laissé influencer par une voix autre que celle du Père, Seigneur et donneur de la vie. Il a accepté de nombreuses limites et, peu importe les pressions de part et d’autre, il n’a pas essayé de les remédier (cf. Mc 3.31 ; 8.32 ; Lk 4.1-13 ; 9.33.54 ; 22.49.63-65 ; 23.8.39 ; Jn 6, 15 ; etc.). S’il l’avait fait, il aurait perdu la vie.
Certes, ce temps continue à appartenir à Dieu. Profitons-en, lentement, de façon créative, en réfléchissant sur comment sauver la vie à la manière de Jésus ; pour se plonger dans le mystère pascal ; pour recréer la vie fraternelle en communauté ; afin que notre peuple vive ces jours saints à son rythme, en célébrant le passage de Dieu dans leurs maisons sans chercher de protagonistes ni créer de dépendances médiatiques. Profitons de cette occasion pour faire un silence fructueux qui nous permettra de partager plus tard son fruit. Profitons de cette occasion pour sympathiser étroitement avec ceux qui ont régulièrement la vie en danger et pour nous engager davantage avec eux. Profitons de l’occasion pour repenser les modes de vie et de consommation, en imaginant la solidarité et des réponses concrètes aux situations sociales et économiques qui toucheront encore plus durement notre environnement au terme de cette pandémie.
Ne cessons pas d’accueillir ces jours dans la foi et l’espérance, en vivant la charité avec tous ceux qui nous sont proches, tout en continuant à prier avec confiance pour le monde, notre maison commune. Ce sont des moments qui n’échappent guère à la main ou au Cœur de Dieu. Tout ce qui se passe, nous appelle à être plus humains, plus sensibles et plus solidaires. Nous sommes reconnaissants envers tant de témoignages et gestes quotidiens qui se multiplient partout par les gens, ainsi bien que par nos confrères, qui apportent affection et réconfort à ceux qui sont plus touchés par cette pandémie. Préoccupons-nous et occupons-nous plus de la vie, de toute la vie ! Ce n’est qu’en agissant ainsi que nous sommes des témoins de Pâques, du tombeau vide et du matin de la résurrection.
In Corde Iesu,
P. Carlos Luis Suárez Codorniú, scj
Supérieur général
et son Conseil