Bénie par la Croix

Un livre de Christophe J. Kruijen
Béni par la croix
L’expiation dans l’œuvre et la vie de d’Edith Stein
C’est un travail intéressant et stimulant, ce mémoire de maîtrise en théologie catholique que Christophe J. Kruijen a présenté en 2001 auprès de l’Université de Metz et que le P. Grégory Woimbee lui a proposé de publier maintenant aux Editions Tempora.[1] Nous sommes donc ici en présence d’un texte plus ancien, mais qui garde toute sa force explicative et sa portée spirituelle.
Intéresser le chrétien de nos jours à l’expiation, ce n’est certes pas une tâche facile, mais le talent de Christophe J. Kruijen y réussit, en s’appuyant sur l’étude de l’œuvre et de la vie d’Edith Stein, cette femme extraordinaire du 20e siècle que le Pape Jean-Paul II a canonisée en 1998.
Intellectuelle juive convertie au catholicisme, Edith Stein est souvent revenue à la notion d’expiation (Sühne) qui lui a permis de comprendre et de donner sens à sa propre destinée.
Née en 1891 à Breslau en Allemagne dans une famille juive, Edith Stein étudie la philosophie qui la rend d’abord indifférente à toute religion. Docteur en philosophie, elle devient l’assistante d’Edmund Husserl, le fondateur du très influant mouvement phénoménologique. Mais après la lecture de l’Autobiographie de sainte Thérèse d’Avila et la rencontre avec des chrétiens qui l’impressionnent, parmi lesquels la veuve de son collègue Reinach, elle se convertit, non pas comme on le lui a souvent reproché du judaïsme au christianisme, mais bien de l’athéisme au catholicisme. Baptisée en 1922, elle commence une carrière de professeur de pédagogie à l’école Sainte-Madeleine, tenue par les Dominicaines à Spire. Elle approfondit sa vie spirituelle et ses recherches philosophiques, en se mettant à l’étude de saint Thomas d’Aquin, avant d’entrer en 1933 au Carmel de Cologne. Devant fuir les persécutions nazies, elle se rend à la fin de 1938 au Carmel à Echt aux Pays-Bas. Mais en 1942, suite à une prise de position certes courageuse, mais non opportune de l’épiscopat néerlandais contre le nazisme, tous les juifs catholiques sont poursuivis et Edith Stein est déportée et gazée en août 1942 à Auschwitz.
Christophe J. Kruijen se base donc sur l’œuvre et la vie de cette sainte pour mieux faire comprendre combien essentielle est l’expiation à la foi chrétienne. Son livre se divise en trois parties. Après une étude détaillée des textes traitant de l’expiation, il fait la synthèse de cette notion pour terminer avec un essai d’appréciation critique de certaines objections comme celle de dolorisme morbide, de double personnalité et de rapport ambigu au judaïsme.
Dès son entrée au Carmel, Edith Stein a compris l’importance et la place essentielle de l’expiation. « Intercéder pour les pécheurs par une souffrance librement consentie et joyeuse, et participer ainsi à la rédemption de l’humanité », c’est la description qu’elle fait de la mission d’une carmélite dans une lettre à Anneliese Lichtenberger, son amie gravement malade et appelée à vivre elle aussi sa souffrance dans l’optique de l’expiation.
Encore novice, Edith Stein rédige en 1934 « L’expiation mystique », un bref texte dans lequel sont résumées toutes les dimensions de l’expiation telle qu’elle la conçoit.
L’accentuation de la miséricorde divine rend difficile de nos jours une compréhension de l’expiation qui semble oublier cette miséricorde pour souligner davantage la justice de Dieu. Mais l’expiation n’est pas une simple satisfaction ou le paiement à Dieu d’une dette contractée par le péché. Plutôt du registre de la solidarité et de l’amour, elle ne se comprend correctement que si elle est conçue comme librement acceptée grâce à l’union au Christ qui est mort pour nous et qui a entièrement expié nos péchés. L’expiation du chrétien n’ajoute donc rien à l’expiation du Christ. En ce sens, Dieu n’a pas besoin de notre expiation pour sauver le monde, mais, dans sa justice et sa miséricorde, il accepte que notre expiation soit unie à celle du Christ et que nos souffrances peuvent ainsi être elle aussi, unies au Christ, salvifiques.
Blessée par l’amour personnel du Cœur transpercé de Jésus et décidée d’y répondre, Edith Stein puise dans cet amour expiateur du Christ le désir et la force d’expier à son tour. La grâce du Christ ne remplace donc pas l’agir humain, comme semble le comprendre un certain protestantisme, mais au contraire l’expiation du Christ appelle la nôtre. C’est ce qu’il faut comprendre pour bien situer cette affirmation souvent mal comprise que nous devons « aider le Christ à porter la croix ».
Tout son parcours terrestre, y compris son arrestation et sa mort, Edith Stein le lit à la lumière de la sagesse de la croix expiatrice.
En choisissant la vie et l’œuvre d’Edith Stein pour illustrer l’expiation et tout son champ sémantique : justification, rachat, satisfaction, oblation, victime propitiatoire, substitution, réparation, représentation, adoption filiale, rédemption, salut…, Christophe J. Kruijen amène son lecteur à mieux percevoir le réel et l’efficace d’une attitude de vie qui, répétons-le, n’a rien d’un masochisme doloriste se complaisant dans une souffrance fermée sur elle-même. Au contraire, l’expiation comprise à partir de la croix du Christ est toujours librement acceptée dans la joie de l’attente de la victoire finale sur le mal.
En conséquence, concevoir l’expiation comme une dimension essentielle de la foi chrétienne n’est donc pas le propre d’une personnalité double qui vivrait une vie de foi entièrement coupée de sa vie intellectuelle. Edith Stein a su scruter le sens de l’expiation dans ses écrits philosophiques, « De l’Etat » ou encore son œuvre magistrale « L’être fini et l’Être éternel » par exemple, et intégrer ainsi honnêtement sa foi aux exigences de la raison.
Reste la question de la condition juive. Edith Stein a compris l’expiation à partir de la liturgie du Yom Kippour (Jour du Grand Pardon) dont elle n’a perçu le véritable sens qu’à partir de sa conversion. Celle-ci, loin de lui fermer l’accès au judaïsme, le lui a au contraire ouvert pour une compréhension en profondeur de la rédemption du Christ. Car sans rien renier de l’unicité salvifique de Jésus Christ et de la vérité définitive advenue en lui, la sainte a toujours cherché à vivre – parfois douloureusement – l’unité irréductible entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Sa lettre par laquelle elle avertissait le pape Pie XI des dangers du nazisme pour le peuple juif a sans doute influencé la rédaction de l’encyclique « Mit brennder Sorge » ainsi que cette déclaration étonnante de Pie XI, le 6 septembre 1938, à un groupe de pèlerins belges venus à Rome : « Non, il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme… L’antisémitisme est inadmissible, nous sommes spirituellement des sémites ».
« Viens, nous partons pour notre peuple ! » Ce sont les mots d’Edith Stein à sa sœur Rosa lorsqu’elles furent arrêtées aux Pays-Bas pour être transportées à Auschwitz. Christophe J. Kruijen commente correctement : le « pour » n’a pas ici de sens substitutif, ce qui serait absurde, mais il est une réalisation terriblement concrète de celle qu’elle entendait par expiation. Celle-ci accomplit et scelle à la fois son appartenance au peuple juif et son désir de communier dans sa propre chair au mystère de la Passion du Christ.
Par son excellente présentation d’Edith Stein et son commentaire éclairant et détaillé du dossier théologique et spirituel, Christophe J. Kruijen montre que l’expiation met en jeu la vérité même de ce qui fait l’identité chrétienne. S’engager sur la voie étroite de l’expiation à la suite du Christ, c’est témoigner, grâce à l’Esprit, de cet amour divin qui est victoire sur la haine et qui sauve les hommes et le monde.
P. Jean-Jacques Flammang SCJ
[1] Christophe J. KRUIJEN, Béni par la Croix. L’expiation dans l’oeuvre et la vie de sainte Thérèse-Bénödicte de la Croix (Edith Stein), Collection Sed Contra, Perpignan, Editions Tempora, 2010, 246 pages. ISBN : 978 2916053 714.
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