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Bernard Masséra présente les Prêtres-Ouvriers après Vatican II

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Bernard Masséra présente les Prêtres-Ouvriers après Vatican II

Lors d'une réunion intercommunautaire des Prêtres du Sacré-Coeur à Paris, le P. Bernard Masséra a présenté les travaux autour de l'histoire des Prêtres-Ouvriers. Voici le texte de sa communication:


« Les Prêtres-Ouvriers après Vatican II »

 

Les cinquante ans de la reprise des Prêtres-Ouvriers, le 23 octobre 1965, ont donné lieux à diverses initiatives des Prêtres-Ouvriers sur le territoire national.

L’Equipe Nationale des Prêtres-Ouvriers quant à elle, a voulu marquer cet anniversaire en organisant un colloque de type universitaire à la « Bourse du Travail[1] » de Saint-Denis (93) les 5 et 6 décembre 2015 avec des historiens, des chercheurs, des théologiens et quelques 200 participants.

L’essentiel du contenu de ce colloque augmenté de contributions qui ont pu être produites ailleurs à la même occasion, a donné lieu à la publication d’un ouvrage « les Prêtres-Ouvriers après Vatican II : Une fidélité reconquise[2] ? ».

Pour en parler faisons, comme dit le pape François dans sa lettre aux consacrés du 21 novembre 2014 : regardons le passé avec reconnaissance pour vivre le présent avec passion en vue de regarder l’avenir avec confiance !

Regardons le passé avec reconnaissance

Dans le courant du XIXème siècle, grâce en particulier au progrès des techniques comme la machine à vapeur, se constituent d’énormes concentrations industrielles qui rassemblent dans les faubourgs et banlieues des villes des masses de travailleurs qui se trouvent coupés de leurs racines rurales et familiales et précipités dans des situations d’exploitation et de misères extrêmes que Zola, entre autres, décrit parfaitement. …

Les institutions religieuses créent et gèrent des hôpitaux, des écoles et de multiples œuvres caritatives. Mais malgré ces efforts de charité, malgré cette générosité, la masse des travailleurs s’éloignent de plus en plus d’une Eglise qui s’enferme dans un discours moralisant tout en se liant trop souvent à la bourgeoisie, aux puissants, aux exploiteurs… Parallèlement se développent des systèmes de pensée qui donnent aux travailleurs des clés de compréhension de leurs conditions en dehors même de toutes références à la foi chrétienne …

C’est dans ce contexte d’industrialisation et de bouillonnement idéologique que des prêtres, en particulier les abbés démocrates comme Lemire, Naudet, Garnier mais aussi des laïcs comme La Tour du Pin, de Mun, Harmel se mettent à réfléchir un peu autrement … Dehon s’inscrit dans ce courant qui aboutira, à la fin du siècle, à l’encyclique Rerum Novarum avec Léon XIII et au ralliement, pour une partie, des catholiques à la République.

En cette fin de siècle, beaucoup de ces chrétiens constatent que l’Eglise a perdu la classe ouvrière. Ils vérifient que si l’œuvre de charité est indispensable, elle ne suffit pas pour que la foi demeure vivante dans la vie des personnes et du peuple…

Le père Dehon, étudiant, avait découvert la misère ouvrière avec la conférence Saint-Vincent de Paul à Paris. Prêtre, il la rencontre quotidiennement dans les bas quartiers et faubourgs saint-quentinois. Il dénonce alors « cette société pourrie », l’inhumanité des conditions de travail, y compris des enfants, les bas salaires, l’indignité des logements ouvriers …

C’est pour cela que Dehon et bien d’autres chrétiens mettent prioritairement leurs énergies à créer des lieux de formation. Le collège Saint Jean, pour Dehon, doit permettre à des jeunes de se préparer à leurs responsabilités futures de citoyens. Il doit aussi être le moyen pour rassembler des prêtres et les sensibiliser à « la question sociale » … Dans le même temps, se créent des patronages où des jeunes ouvriers peuvent se former, gérer en commun, réfléchir et donner sens à leur foi. Dehon s’inscrit dans ce mouvement avec le « Patronage Saint-Joseph »…

Après Léon XIII l’Eglise est de plus en plus convaincue, comme le dira plus tard Pie XI, que « ce sont les ouvriers qui seront les premiers apôtres des ouvriers » (QA 152) C’est de cette conviction que va naître la JOC et l’ensemble des mouvements d’action catholique…C’est par eux et entre eux que la foi peut se vivre, se dire et se partager …

Les guerres de 14/18 et de 39/45 vont mettre aux coudes à coudes des hommes et des femmes qui ne se rencontraient jamais

… Ces guerres comme les tueries et les génocides qui les accompagnent, posent aussi des questions fondamentales sur le sens de la vie, sur la place des croyances, de la foi en un « Dieu-bon » alors que se déchaînent les atrocités et les inhumanités…

Dans ce contexte, l’Eglise de France en particulier est interrogée et elle s’interroge…Elle réalise comme disent Yvan Daniel et Henri Godin[3], en 1942, que si on est «en France  un pays de chrétienté, on est un pays de non pratiquants de culture chrétienne et donc un pays de mission »… Il y a là toute une réflexion qui s’engage  sur la réalité de l’Incarnation, du Verbe qui se fait chair …et donc de la nécessité de « sortir de sa sacristie pour aller au peuple » comme le disait 50 ans plus tôt le père Dehon tout en liant fortement action et contemplation…

C’est de ces constats de déchristianisation puis de sécularisation, c’est de cette prise de conscience que tout un prolétariat s’est constitué en dehors de l’Eglise, c’est de ces expériences de vie choisies ou imposées par les guerres, c’est enfin de ces réflexions que vont naître des institutions comme les Frères missionnaires des campagnes, la mission de Paris, la mission de France et les prêtres-ouvriers et plus tard le concile de Vatican II qui va tenter de repenser les relations Eglise/Monde.

C’est plus d’une centaine de prêtres qui, dans les années 50, seront au travail dans les grandes usines et les chantiers se confrontant aux dures réalités des conditions de vie et de travail mais aussi à tout ce qui forment les consciences des personnes et des collectifs.

L’Eglise a du retard pour comprendre et parler à un peuple qui n’a plus ses références rurales et ses structures familiales quasi immuables…Le peuple ouvrier lui-même est méfiant vis-à-vis de l’Eglise. Par contre, passé un premier temps de surprise et de suspicion, les prêtres-ouvriers seront finalement reçus avec une réelle fierté dans les milieux de travail. Ils y prendront toute leur place. L’opinion publique les salut comme Gilbert Cesbron, par exemple, avec son livre « Les saints vont en enfer » (1952)…

L’Eglise romaine, en particulier avec le Saint-Office, demeure cependant réticente : les prêtres-ouvriers par leur vie et leurs engagements bousculent l’ordre et les distinctions entre clerc et laïcs, entre spirituel et matériel, entre sacré et profane. Ils affirment par leurs engagements que la foi chrétienne ne peut se désintéresser de choix politiques ou structurels de la société.… A cela s’ajoute la peur du Saint Office de voir  la foi être contaminée par le marxisme.

Alors Rome sanctionne en février 1954 les théologiens Congar et Chenu qui, entre autres choses, accompagnent la réflexion et la vie des prêtres-ouvriers puis, le 1er mars 1954, exige l’arrêt de ce que Rome appelait « l’expérience des Prêtres-ouvriers » et cela malgré l’intervention des cardinaux Liénard, Feltin et Gerlier...

Il faudra la ténacité de prêtres-ouvriers et d’un ensemble d’évêques y compris au concile pour que de nouveau, le 23 octobre 1965, des prêtres soient autorisés à reprendre la route des usines et des chantiers… Notons que, dans le même temps, le 7 décembre 1965, est publié le décret de Vatican II sur « le ministère des prêtres » qui reconnaît que « les prêtres qui travaillent manuellement et partagent la condition ouvrière sont envoyés pour coopérer au ministère sacerdotal unique exercé pour les hommes » (PO 8)

Pour marquer cet anniversaire, « ce colloque [de Saint-Denis] ne se voulait ni célébration de type religieuse ni commémoration mais temps de recherche, très largement ouvert et indépendant. La parole devait pouvoir y circuler librement et peut-être ouvrir quelques perspectives et engager d’autres temps de réflexion.

Le choix du lieu, une bourse du travail, en l’occurrence celle de Saint-Denis (93), n’était pas sans signification. C’est bien en effet, dans la vie syndicale et associative, voire politique, que les Prêtres-ouvriers investissent l’essentiel de leurs engagements. Le collectif des Prêtres-ouvriers est riche d’une pluralité d’engagements et donc d’une diversité d’analyses, de réflexions et d’actions comme peut le signifier cette Bourse du travail de Saint-Denis qui abrite toutes les organisations syndicales de salariés et de nombreuses associations.

Ainsi par le choix du lieu, était signifiée la liberté de recherche qui se voulait attachée à ce colloque dont nous vous présentons, dans cet ouvrage, les deux temps[4] ».

La première partie, en effet, les 160 premières pages, est constituée d’apports de 7 historiens chercheurs reprenant divers aspects de ce qui fut appelé « la relance des Prêtres-Ouvriers »

La deuxième partie, comporte des témoignages et des réflexions qui ont été produites soit pendant le colloque soit dans d’autres lieux à l’occasion de ce même anniversaire. Jean Louis Souletie, un théologien intervenant lors de ce colloque « montre combien ‘’la société postmoderne née à la fin du XXe siècle a considérablement modifié la nature du travail et la relation sociale’’. Mais il poursuit en faisant remarquer que le ministère des PO en prenant en compte cette mutation pourrait trouver une signification nouvelle relative à la société ultramoderne avec son économie planétaire et ses conséquences. Les Prêtres-Ouvriers seraient alors ces ministres de l’Évangile pour notre temps. Cette signification nouvelle, ces ministères pour notre temps, voilà précisément ce qu’il nous faut travailler. Nous ne pourrons le faire efficacement que dans un dialogue constant entre acteurs du quotidien et chercheurs. Le chantier est difficile mais il est essentiel et vital.

Les documents de cette deuxième partie ne sont donc que des contributions indispensables et des invitations à aller plus loin dans la réflexion avec tous ceux et celles qui se sentent concernés, en Église et dans notre société, par l’avenir de ce que fut et est encore l’intuition des prêtres-ouvriers[5]. »

Depuis la publication des actes de ce colloque, nous avons poursuivi la réflexion avec les partenaires de la Mission ouvrière nationale en organisant une journée de réflexion animée par un théologien, Christophe Théobald, sur la question du sacerdoce et des ministères que nous avions résumé ainsi : « Pour une Eglise servante de l’humanité, tous responsable ? » Cette journée a eu lieu à la CEF[6] le 5 octobre dernier et a donné lieu à un questionnaire que les différents mouvements et partenaires de la Mission Ouvrière travaillent actuellement avant de se retrouver à nouveau dans quelques temps…

C’est cette recherche qui nous aide à vivre avec passion notre présent et en tous cas à voir l’avenir avec confiance et enthousiasme.

Au XIXème siècle la misère et l’exploitation massive et généralisées de la masse des travailleurs éclataient au grand jour. Avec l’organisation des travailleurs et l’évolution des opinions publiques, l’exploitation ne peut se faire que dans l’ombre de nos sociétés dites modernes. Les discours officiels s’efforcent de faire croire que les ouvriers ont disparu et tentent de rendre invisible la réalité douloureuse et inhumaine des sans papiers, des précaires, des travailleurs pauvres ou « au noir », des exclus de toutes sortes …

L’histoire comme l’Evangile, nous enseigne cependant que ce sont les plus pauvres qui donnent à nos sociétés leur dimension d’humanité. Aussi sommes nous convaincus que c’est dans le service de ces « invisibles » d’aujourd’hui que notre consécration religieuse et nos ministères prennent sens. C’est pour cela aussi que nous osons regarder l’avenir avec confiance et espérance.

Bernard Massera 19 décembre 2016



[1] Les « Bourses du Travail » sont nées d’un besoin de solidarité locale pour s’aider entre travailleurs et organisations à trouver du travail et à mettre en place des dispositifs d’entraides y compris financières. La première Bourse est créée à Paris en 1887. Elles vont se fédérer avec Ferdinand Pelloutier en 1892.  A noter que Saint-Quentin fut une des premières au plan nationale signe de l’existence massive d’une réalité ouvrière organisée dans la ville. Par des conférences, des cours du soir, les bourses du travail furent un des premiers supports de l'éducation populaire et contribuèrent à développer une autonomie politique et culturelle de la classe ouvrière. Aujourd’hui, elles hébergent les organisations syndicales de salariés et de nombreuses associations.

[2] « les Prêtres-Ouvriers après Vatican II : une fidélité reconquise » Sous la direction de N. Viet-Depaule et T. Cavalin. Editions Karthala 330 pages. 

[3] Yvan Daniel et Henri Godin « France, pays de mission ? » 1943 Ed. de l’Abeille puis au Cerf et en 1962  UGE 10/18

[4] Introduction page 6 « Les prêtres-ouvriers après Vatican II »

[5] Introduction à la deuxième partie, page 181.

[6] Conférence des Evêques de France, 58, avenue de Breteuil 75 007

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