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Cinq questions au nouveau Père Provincial

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Cinq questions au nouveau supérieur provincial, le Père André Conrath SCJ

 

1. Père Conrath, depuis le 1er décembre 2008, vous êtes le nouveau supérieur provincial de la Province Europe francophone.  Pourriez-vous expliquer en quoi consiste cette tâche ? 

Quand j’étais à l’école apostolique à Raon l’Etape (Vosges) âgé de 12 ans, l’image du provincial lorsqu’il opérait un passage, était la suivante. D’abord nous avions droit de sa part à une demi-heure de méditation, des conseils et des réflexions à la place des études, le soir. Le thème d’année en année avait une partie sur la discipline et la sagesse à acquérir. Le soir suivant on avait un film et comme gamins, nous nous disions que le reste du temps, il le passait avec les formateurs en principe. Son départ était toujours ponctué par un repas plus copieux.

Le temps passant, les années aussi, un certain dialogue s’établissait avec lui pour ceux qui étaient dans les classes finissantes. Au loin se profilait un départ pour un éventuel noviciat qui se trouvait à cette époque à Amiens  dans la Somme.

C’est au noviciat que le rôle du provincial se faisait plus clair car nous avions à découvrir sa fonction, sa responsabilité dans la province et le lien qu’il tissait avec la congrégation qu’on désignait facilement du nom de Rome.

On oubliait totalement qu’il portait avec l’économe le souci de la gestion financière, sauf un peu des missions, qui étaient, pour la France, le Cameroun. Ce dernier, on le savait par le passage des missionnaires, réclamait du personnel mais aussi des subsides pour la construction matérielle des paroisses, écoles et collèges, la santé des confrères en climat chaud et un fort financement pour les œuvres de jeunesse, la formation humaine et le développement matériel dans les zones difficiles d’accès.

On oubliait surtout qu’il devait porter le souci des confrères à travers une vie communautaire, une vie d’engagement dans les réussites et les échecs et surtout les doutes de certains dans la vie religieuse et sacerdotale. Il devait en dernier lieu gérer des départs douloureux.

Pour moi j’ai expérimenté ce service d’autorité, il y a quelques années, au Cameroun. La grande découverte était bien le rôle de serviteur parmi les confrères et la tâche difficile de clore des budgets de maison souvent en rouge en passant beaucoup de temps à écrire et à demander de l’aide aux autres provinces. A un moment on passait pour « mendiant » mais il fallait faire tourner les maisons de formation : propédeutique, noviciat et grand séminaire. J’appelais ces maisons des « budgétivores ». Normal, on y étudiait et le petit apport personnel de travail de chacun et de la communauté des formateurs faisait que la soupe était toujours assez claire et ne pouvait en aucun cas produire des effets néfastes sur le corps comme on le redoute ici en Europe. Ne cachons pas une autre vérité : c’est aussi l’occasion d’expérimenter que cette tache d’autorité vous met à l’épreuve. La reconnaissance n’étant pas une vertu, vous étiez souvent seul à résoudre ou à décider de problèmes  graves entraînant des conséquences pas toujours mesurables. Si jamais quelqu’un considère ce poste comme une promotion, il tombera de haut à la fin de son mandat. Non, c’est un service, grand certes, mais un service de communion où il faut privilégier la relation aux confrères et la finalité de la foi en Christ à qui chacun, un jour du temps, a consacré sa vie par la profession perpétuelle. Les conférences provinciales, des rencontres d’occasion ou de formation permanente, le chapitre général tous les 6 ans nous réunissent pour saisir et revisiter la spiritualité, les formes de fonctionnement, l’extension missionnaire, les défis de l’Eglise et les défis internes de la congrégation, sans oublier que nous sommes tous insérés et participants d’une Eglise locale tout en étant une institution de droit pontifical. Pour terminer je citerai le N° 122 de nos « Constitutions » « pour le gouvernement de la Province, le Supérieur provincial est assisté d’au moins quatre conseillers. »  Je vais citer ces confrères : le Père Jean-Jacques Flammang, vice-provincial et de la communauté de Clairefontaine-Arlon,  le Père Joseph Famerée de la communauté de Bruxelles, le Père Gérard Lachivert de la communauté de Paris et le Père André Perroux de la communauté de Rome .

2. Province Europe Francophone – Quels pays sont concernés et quels sont les principaux engagements ?

On entend par le mot  „francophone“  les pays parlant le français majoritairement : la France, la Belgique dans une assez grande partie, le Luxembourg. Certaines grandes maisons ou couvents nous identifient dans les régions que voici : Clairefontaine comme communauté SCJ et unique grande maison d’accueil pour l’Europe Francophone.  Puis viennent Bruxelles, Centre International de Formation, où le provincial réside actuellement et où le Père Dehon est décédé le 12 août 1925, Paris et le secrétariat provincial ainsi que l’économat et la procure.  Cinqfontaines  se situe dans le Grand–Duché du Luxembourg et la communauté offre des services de retraite spirituelle, tandis que Burnot-Profondeville est en Belgique, ayant des écoles primaire et secondaire (l’Institut du Sacré-Cœur) sur sa parcelle. Un beau dépliant loue le centre de séjour de Val-Burnot avec ses 11 chambres comme gîte de court séjour et même côté Nord vous avez une vue sur les vignobles des terrasses.   A l’Est de la France nous avons la communauté des Prêtres du Sacré-Cœur à Metz qui fait fonction de scolasticat : deux jeunes Vietnamiens sont étudiants au grand séminaire de la ville en « licence » (baccalauréat) de théologie.  Une aile du bâtiment est vouée à l’action sociale, entre autres la réinsertion de personnes quittant la prison dirigée par une sœur et un groupe de bénévoles.  En allant vers la région du centre Est, se situe une communauté insérée en milieu rural, c’est Arnay Le Duc. Puis en se dirigeant vers la région Sud-est il y a Mougins où 16 Pères sont en maison de retraite parmi une cinquantaine de pensionnaires religieux ou laïcs. Dans la région il y a quelques confrères en paroisse mais dans un temps à venir l’évêché nous confiera une paroisse ou un secteur paroissial. Nous revenons vers Paris et sa région où deux communautés sont insérées dans un travail de proximité en lien avec des associations de quartiers œuvrant à la réinsertion de personnes et travaillant en lien pour le respect des personnes immigrées : les lieux se trouvent dans l’Essonne : Les Ullis et Massy. Allons dans le Nord pour trouver la petite ville de La Capelle où le Père Dehon est né le 14 mars 1843  et où une communauté qui va grandir rayonnera par un travail paroissial local et un accueil international quand la réfection du second bâtiment sera achevée.  Il reste le lieu de la fondation qui est Saint Quentin. Une communauté vit de divers engagements. Un confrère prêtre du Cameroun s’est adjoint cette année. La responsabilité de la paroisse St Martin où repose le corps du Très Bon Père fondateur, la mission ouvrière, une présence à divers groupes humains et le nouveau phénomène migratoire ainsi que la complexe « question sociale » sont parmi leurs préoccupations.

Il est bon de signaler aussi que des confrères vivent seuls pour des raisons diverses, mais en vie religieuse le mode de vie et de partage est la communauté grande ou petite. Notre conseil provincial vient de refaire une analyse. Le nombre des confrères appelle à un regroupement certes et aussi sans peur à des ouvertures de communautés ayant des  engagements neufs mais demandant des hommes bien formés et ayant une bonne colonne vertébrale pour être en position de service et non en recherche de pouvoir. Comme vous le savez pour vous-même, des idées généreuses sont agitées mais la réalité doit aussi se frotter aux moyens financiers qui sont hélas dans une drôle de passe, voire de trappe.  La politique de la culture en matière de formation initiale, spécialisée ou universitaire a un coût sérieux. Aucune de nos grandes maisons n’est autonome, car offrir l’accueil, des études à des jeunes, des sessions et des retraites abordables aux bourses du commun permet de vivre mais plus d’investir pour une forte rénovation des lieux. Des décisions concernant des maisons à laisser à des œuvres ou à resituer se pointent à l’avenir. Il est bon de le dire et d’ajouter que sans la générosité des bienfaiteurs,  c’est-à dire la vôtre à vous qui lisez « Heimat und Mission », nous ne serions pas aptes à remplir nos engagements du moment. Nous sommes envoyés à des missions de présence et de proximité mais avec vous. C’est un devoir de reconnaissance que nous vous portons avec simplicité et gratitude.  Vous et nous, nous œuvrons pour que le « Règne du Cœur de Jésus advienne dans les cœurs et les sociétés », comme aimait dire notre fondateur.

3. Autrefois les pays de la Province EF étaient en étroite relation avec les missions. Comment se présente cet engagement aujourd’hui ?

L’engagement pour les missions a pris un visage autre. Dans le temps nous étions fondateurs sur place des paroisses et à l’origine de la naissance de l’Église locale avec sa hiérarchie propre. Le temps passant, de « prêtres religieux missionnaires », nous sommes revenus à « religieux prêtres ou frères » avec une conviction dans les années 1970 de laisser aussi une trace de notre spiritualité par ceux qui avaient travaillé, lutté et ceux qui ont versé le sang en terre de mission. Un rameau de congrégation a poussé lors de l’entrée de jeunes Africains dans la congrégation. Il est même devenu branche puis arbre avec les enfants du pays. Il faut rendre grâce à Dieu aussi bien au Cameroun qu’au Congo (ex Zaïre) où chaque province atteint la centaine de confrères du pays. Nous devons penser aussi au Chili et au Brésil où des confrères travaillent encore venant du Luxembourg et de la Belgique. En ce moment, de concert avec d’autres provinces de la congrégation, la province EF soutient, pour sa petite part, l’émergence d’une future communauté  de confrères Vietnamiens  par l’aide à la formation en théologie en Europe et le soutien financier à un foyer d’étudiants à Ho Chi Minh  ville. Nous serons discrets car dans ce pays les oreilles sont encore déployées en faisceau récepteur. Nous souhaitons à cette entité vietnamienne bientôt un visage propre que le prochain chapitre en mai 09 définira. Nous continuerons selon nos possibilités l’aide matérielle  et un soutien de formation dans le cadre interculturel. Pour ma part j’ai travaillé 37 ans au Cameroun où j’ai acquis une bonne expérience et un enracinement de ma foi en Christ.  Les événements m’ont ramené, en partie à cause de la santé, en Europe et après un séjour à Paris, les supérieurs m’ont affecté à Bruxelles. J’en rends grâce à Dieu. Il reste à dire ceci : bien des personnes pensent que la mission devrait cesser. Nous le ressentons aux dons, particulièrement par la quête organisée à Bruxelles pour le Congo. Mais la mission est essentielle à l’Eglise et ne supporterait aucune fermeture. C’est d’ailleurs que l’Evangile est venu et de là il repartira vers d’autres contrées. Personne ne peut se déclarer propriétaire. Quant à l’aide dans ces jeunes Églises, elle est attribuée principalement à la formation humaine, spirituelle et politique. Et vous le savez, moins un peuple est instruit et averti, plus il court le danger d’une forme de dictature. Une chose restera : par vos dons, des hommes s’instruisent, des groupes humains accèdent à l’eau : « l’eau c’est la vie », et par bonheur certains, en brousse, à l’électricité. Le devoir social est une forme non seulement quantitative mais qualitative de l’annonce de la Bonne Nouvelle. Tout ce qui touche l’homme dans sa vie, touche Dieu.

4. Les Prêtres du Sacré-Cœur sont une congrégation apostolique. Quels sont les défis que lancent l’Eglise et la société à de telles congrégations, et comment les Prêtres du Sacré-Cœur essaient-ils d’y répondre ?

De par notre participation à la mission de l’Eglise et à celle de nos diocèses où nous travaillons, nous faisons nôtre ce que déjà le Pape Paul VI demandait dans « Evangelii Nuntiandi » : « établir une relation constructive avec la société moderne ». Il est urgent pour tous de mettre en œuvre une transformation de nos mentalités. Mais il est plus urgent encore, comme l’écrit si bien le Père Valadier dans « un christianisme d’avenir » pour une nouvelle alliance entre foi et raison, d’établir : « une sympathie décidément évangélique » vis-à-vis de l’homme moderne d’aujourd’hui, tel qu’il est, dans ses misères et ses grandeurs, sa quête folle de réussite, dans le paraître, l’éphémère et l’affectif passager et même dans la tentation d’oublier Dieu ou de négliger Dieu, « en le contemplant avec la tendresse même du regard de Dieu ». En ce moment de l’histoire où l’Eglise passe par quelques couacs difficiles à digérer, des chrétiens et des responsables aggravent encore la défiguration, mais nous restons confiants comme ce chroniqueur d’une rubrique dominicale écrivant : « Eglise, ma mère, redresse-toi ».  Notre fondateur a pointé déjà du doigt pareille situation et avait appelé à lire en son temps les défis incontournables comme les problèmes de justice dans une époque de mutation avec l’urgence de servir la portée sociale de l’Evangile. Dans son opuscule Léon Dehon – passionné du Christ, passionné du Monde, notre confrère André Perroux écrivait : « pour lui le Règne de la justice et l’amour au cœur de la brûlante actualité de notre monde n’étaient pas un  sujet à débattre, un rêve d’utopiste, rien d’un simple devoir à remplir, une fonction à tenir. Ce Règne, pour lui, c’est chaque jour l’aujourd’hui de Dieu, la présence du Christ Seigneur dans son amour sauveur ».  L’incarnation de Dieu en Jésus Christ nous donne la mesure humaine du visage à donner aux hommes de notre temps. Un défi, c’est d’aller aussi vers les hommes qui ne partagent pas non plus nos idées, nos repères, notre foi en faisant le pari de prendre un enracinement et d’être en mouvement avec des façons de parler, d’être « des gens de Jésus » crédibles. Il y a l’autre défi, c’est d’aller à l’humanité entre une identité déjà donnée : Prêtres du sacré Cœur de Jésus et une identité à découvrir comme une respiration en deux temps : un temps d’inspiration et un temps d’expulsion du souffle. Décidément les chemins sont divers et les défis complexes.

5. Quelles sont vos visions pour l’avenir de la Province Europe francophone et quels vœux formuleriez-vous?

Le mot „visions“, vous le mettez au pluriel et avec justesse. Il n’y a plus dans notre actualité « une vision unique » même pour l’avenir de la province EF. Mais nous restons optimistes dans ce que nous construisons puisque nous gardons la mémoire mais dans le sens de l’Evangile, c’est-à-dire la réactualisation dans l’aujourd’hui et non pas un simple souvenir de notre Fondateur. Momentanément les membres jeunes chez nous se comptent facilement comme dans les provinces de la vieille Europe à des exceptions près. Une vision à ouvrir, c’est de travailler c’est-à-dire de créer peu à peu « un corps plus européen » dans le service de la formation initiale, spécialisée et permanente. Là aussi il faut une culture de transformation de mentalité. Certains de nos confrères ne sont jamais sortis du pays et même parfois du lieu d’affectation première. Il est normal qu’ils ne perçoivent pas le problème urgent de brassage. D’autres, grâce à Dieu, ont fait de grands efforts  pour intégrer une vision de province. Il ne faut jamais écarter les risques de vouloir reproduire le passé de ses terres d’origine, cela fait partie de la vie. Cette dernière se charge de trier le panier des idées. Mais nous ne pouvons plus attendre une baisse d’effectifs, nous perdrions l’aisance d’une liberté constructive.  Quelque chose de neuf se produit. Ce qu’il faut « voir » aujourd’hui pour ouvrir des horizons au-delà de la peur et du malaise, c’est que des jeunes frappent à la porte venant d’une migration ayant acquis une mentalité européenne avec la couleur de leurs origines. C’est neuf et peut-être prophétique. Si Dieu veut, ils apporteront une autre sève, mais pour que le feuillage de l’arbre reste vert, il aura besoin de replonger ses racines en terre de sa fondation tout en lui ayant ramené une terre renouvelée.  Notre identité de famille religieuse a besoin encore de confrères qui scrutent l’histoire, revisitent la spiritualité, mettent encore mieux au jour le visage de notre Fondateur qui avait pour objectif de réconcilier les hommes avec Dieu. Merci à nos confrères qui continuent d’écrire et de travailler, plus proches des racines pour que d’autres en tout lieu de la congrégation soient les pieds et les mains mais surtout le cœur vivant aimant tout homme. C’est notre espérance de province EF.

« La vérité et la charité ont été les deux grandes passions de  ma vie, et je n’ai qu’un désir, c’est qu’elles soient les deux seuls attraits que je laisserai, s’il plaît à Dieu » Léon Dehon

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