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Un nouveau livre sur le Père Dehon du P. John van den Hengel

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Un nouveau livre sur le Père Dehon du P. John van den Hengel

Relire la vie et l’œuvre du Père Dehon pour mieux vivre de son charisme

Un impressionnant volume d’études du Père John van den Hengel vient de paraître

 

Heureusement en 2015 le Père John van den Hengel, qui avait terminé son mandat de conseiller et de vicaire général de la Congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur, a donné une réponse positive à ceux qui lui ont demandé de publier ses écrits sur le Père Dehon, son charisme et sa Congrégation. Ainsi a pu paraître l’intéressant et stimulant numéro 62 de la collection Studia Dehoniana qui regroupe onze études sous le titre Re-Reading Léon Dehon (Relecture du Père Dehon). Ces études sont en grande partie des interventions que le Père van den Hengel a dû faire durant son mandat de conseiller général (2009-2015) et qu’il a conçues, comme professeur de théologie, dans une approche herméneutique inspirée par les travaux de Paul Ricœur.

La présentation introductive précise l’objectif de la publication : « positionner Léon Dehon au 21e siècle comme un guide spirituel pour ce temps » et par conséquent présenter mieux le don le plus profond que le Père Dehon nous a laissé, à savoir « son inaltérable désir d’amour, d’amour de Dieu, comme fondement de la vie ».

Les articles de la première partie intitulée Léon Dehon, hier et aujourd’hui montrent comment le Père van den Hengel relit l’histoire de la compréhension de notre Fondateur et sur quoi il met l’accent pour présenter son charisme aujourd’hui.

Comme toutes les congrégations, nous avons nous aussi un mythe des origines qui fut traduit de génération en génération au cours de la formation, par la vie religieuse, ses options, ses directives. Notre mythe avait centré notre spiritualité autour de la dévotion réparatrice au Sacré-Cœur telle que l’a conçue sainte Marguerite Marie Alacoque et telle que le Père Dehon l’a pu voir à l’œuvre dans la Congrégation des Sœurs Servantes. Textes autobiographiques à l’appui, le P. van den Hengel montre comment le Père Dehon s’est reconnu être celui à qui il est demandé de fonder une congrégation sacerdotale tant désirée par la Mère Ulrich. Le mythe des origines raconte alors que le Père Dehon a fondé sa Congrégation, les Oblats du Sacré-Cœur, en lui donnant comme fondement la  spiritualité paraisienne d’amour et de réparation au Sacré-Cœur, caractérisée par les exercices dévotionnels que sont les messes et communions réparatrices, les actes d’oblations, les célébrations des premiers vendredis du mois, l’adoration perpétuelle, l’heure sainte…

Ce mythe des origines avait cours jusqu’au Concile Vatican II où fut demandé aux Congrégations de revisiter le charisme spécifique des Fondateurs. Ce retour aux origines a fait découvrir aux dehoniens rassemblées pour les Chapitres généraux de 1966/6, 1973 et 1979 d’autres dimensions qui ont fini par déconstruire l’ancien mythe des origines et par en élaborer un nouveau, qui fut inscrit dans la nouvelle Règle de Vie, officiellement approuvée en 1982.  

Ce retour aux racines ne se réfère quasiment plus aux Sœurs Servantes et élargit considérablement l’étroite dévotion au Sacré-Cœur héritée de Paray-le-Monial.   

En (re)lisant les écrits du Père Dehon, le lecteur est de fait surpris par les nombreuses citations bibliques et comprend que la Parole de Dieu a accompagné le Père Dehon tout au long de sa vie pour faire de lui « un chercheur non seulement de Dieu dans la Parole de Dieu, mais aussi de lui-même devant cette Parole ». L’identité profonde du Père Dehon est donc à chercher dans sa méditation des Ecritures saintes et sa vie d’oraison nourrie par la Parole de Dieu. A la recherche du cœur de Dieu qui est amour, le Père Dehon désire clairement « être saisi par cet amour ». Pour exprimer cette expérience de foi en laquelle son Institut trouve son origine (cf. Règle de Vie, n.2), la seule dévotion réparatrice au Sacré-Cœur de Marguerite Marie ne suffit pas. On se rend mieux compte que ce qui définit la spécificité du charisme dehonien, c’est que le Père Dehon inclut dans sa spiritualité à côté de l’âme individuelle « l’âme de la société » pour rejoindre la force originaire de la vie, tant de la personne que de la société et de la création en général.

Pendant toute sa vie, le Père Dehon a prié et contemplé le cœur de Dieu. Comment il l’a fait et comment il faut en conséquence redire la spécificité de son charisme et du nôtre, une fois l’ancien mythe d’origine déconstruit, c’est là l’objectif du travail de relecture que fait le Père John van den Hengel dans ses études.  

Ainsi un article est consacré à la Lettre aux Galates. On sait l’importance que le Père Dehon a accordée aux versets 2,19-20 de cette Lettre pour formuler sa propre expérience de foi, une expérience de l’amour que Dieu a pour lui. Pour exprimer cet amour, le Fondateur ne réfère pas comme on pourrait le croire selon l’ancien mythe des origines, à la dévotion réparatrice au Sacré-Cœur, mais bien à l’évangile de saint Jean : le côté ouvert et le cœur transpercé. Aux dehoniens de retrouver cette expérience de foi dans la vie et l’œuvre du Père Dehon.

Un troisième chapitre sur le charisme social du Père Dehon insiste sur le fait que dès le début de son activité pastorale, notre Fondateur se montre « profondément engagé dans la vie sociale et économique de Saint-Quentin ». Pour bien présenter le charisme dehonien, il faut donc tenir compte non seulement de la dévotion plus intimiste et personnelle au Sacré-Cœur pratiquée dans la tradition paraisienne, mais aussi de l’engagement social. Le P. van den Hengel note : « Le Père Dehon était hautement intéressé au monde autour de lui. Mais cet intérêt était inextricablement lié avec son inaltérable soif pour comprendre l’amour que Dieu lui porte. C’est avec ce même amour qu’il essaie de comprendre le monde autour de lui. C’est là, je pense, le cœur de son charisme. Et c’est notre tâche de le développer davantage. » Dans cette optique, ce troisième chapitre propose une excellente présentation de l’encyclique « Caritas in Veritate » du pape Benoît XVI qui introduit la fraternité et la gratuité dans l’économie, une nouveauté pour la doctrine sociale de l’Eglise qui pourrait aussi expliciter pour aujourd’hui l’intuition profonde du Père Dehon et nous donner une « nouvelle compréhension d’être prophètes de l’amour et serviteurs de la réconciliation ».

Un chapitre sur André Prévot et Léon Dehon présente la dévotion réparatrice du premier et son apport spécifique à la spiritualité de la Congrégation, apport qui sera négligé après la déconstruction de l’ancien mythe des origines. Au jugement du Père van den Hengel, le Père Prévot était certes « un saint homme avec une sainteté unique », mais il vivait « une spiritualité qui, malgré ce que dit le Père Dehon, n’est pas la nôtre ».

Le 5e chapitre traite de la nouvelle forme d’internationalité qu’a prise la Congrégation au début du 21e siècle. Elle ne concerne plus seulement le fait que des religieux partent en mission ailleurs dans le monde, mais bien que des religieux de différentes nationalités vivent ensemble dans une entité. Il faut donc élaborer et vivre une éthique basée sur le respect, l’estime et la connaissance mutuelle.

La seconde partie du volume est intitulée Relire pour demain. Elle commence par un chapitre sur l’inculturation de la foi chrétienne dans les différents continents et son importance pour la formation des religieux dehoniens.

Une nouvelle anthropologie du cœur qui fut discutée au séminaire « Anthropologia Cordis » de Taubaté au Brésil en 2014 vaut la peine d’être étudiée de près. Elle présente effet une interprétation suffisamment critique de la modernité qu’il s’agit de quitter sans l’oublier. Pour développer cette anthropologie du cœur, le Père John van den Hengel s’inspire de Paul Ricœur qui a opposé au sujet égocentrique de la philosophie moderne un sujet ouvert aux autres et à l’Autre. Il ne s’agit plus de compter sur l’ego cartésien, maître de tout, mais bien de penser un ego qui par delà le doute cartésien si typique de la modernité européenne retrouve un « Je » disciple, capable d’écouter, de répondre à un appel et de se laisser captiver par l’amour-agapé. Il s’agit d’un « sujet convoqué » dont on trouve des figures dans la Loi, les Prophètes et les Ecrits de sagesse de la Bible qui toutes les trois convergent vers la figure du Christ et de ceux qui renaissent en lui. On remarquera que le soi convoqué devant Dieu peut se comprendre comme une capacité humaine restaurée et libérée, comme un « Je peux » où se rencontrent à la fois l’amour de Dieu et l’amour humain.

« Le Royaume de Dieu est parmi nous, mais de façon eschatologique. » Pour les dehoniens, cette vérité, exprimée par le côté transpercé du Christ mort en croix, appelle à vivre dans ce don gratuit qu’est l’amour. C’est la « redamatio », cet amour en retour, le pur amour, l’expression de gratitude qu’un soi isolé ne peut donner, mais qui est vécu dans une communauté qui rend grâce, un « soi eucharistique », recréé dans la personne du Christ qui se donne lui-même. Le Christ est alors le maître dont le « Je » est disciple.

Qui est ce soi qui peut aujourd’hui attester le divin, le Père dans l’Esprit de Jésus ? Ce soi est authentiquement humain, il répond au don absolument gratuit qui l’a appelé dans amour trinitaire. Ce « Je » doit passer par la crise d’autorité de la modernité, initiée par Descartes, il doit tenir compte des analyses des maîtres du soupçon que sont Nietzsche, Marx et Freud, et il doit être pleinement historique. L’histoire moderne du sujet s’achève cerets, mais elle ne doit pas pour autant être oubliée, si non l’anthropologie post-moderne du cœur perdrait ses racines.

Quel sens donner au règne social du Christ dans l’approche dehonienne ? C’est le thème du chapitre suivant. Le Père Dehon s’était engagé socialement et avait fondé en 1889 la revue Le Règne du Sacré-Cœur dans les âmes et dans les sociétés. Peu à peu il commence à entrevoir la connexion intime qui existe entre la dévotion intérieure au Sacré-Cœur et son impact social. C’est ainsi qu’en 1983, année que le Père Albert Bourgeois considère comme « l’année charnière », le Père Dehon voit dans les actes privés de dévotion une voie permettant un changement social. Il introduit ainsi dans le social « le pur amour comme image de l’amour de Dieu, symbolisé dans le Cœur de Jésus », un amour qui ne demande pas de retour, qui est purement gratuit. Il n’est pas directement traduit en action sociale, mais se montre être plutôt la force intérieure invoquée pour envahir cette action. « Ce que le Père Dehon recherche c’est un mysticisme social. » Son action concerne donc essentiellement le niveau moral et social, non le niveau politique. « La ligue suppliante », prière publique et privée, est pour le Père Dehon « la solution de la crise que nous traversons ». Le Père van den Hengel note toutefois que le Père Dehon n’a jamais réussi à incorporer dans sa vision du Règne social du Sacré-Cœur la modernité émergente où la religion joue un rôle moins dominant.

« La mort et l’ensevelissement de Jésus, parabole divine de l’abandon. » C’est le titre du Chapitre 9 qui reprend le thème de l’abandon non pas à partir de la tradition de la dévotion au Sacré-Cœur où il joue évidemment un rôle prépondérant, mais à partir des christologies contemporaines qui permettent une contemplation autrement profonde du mystère de l’amour de Dieu. L’approche classique qui fut aussi celle du Père Dehon pense l’abandon à partir de l’incarnation : les multiples références à l’Ecce venio le montrent bien. Les christologies contemporaines prennent plutôt comme point de départ pour la mort et la résurrection de Jésus. L’abandon est alors cet amour, symbolisé par le Cœur de Jésus, auquel nous pouvons répondre par la prière et la réparation. La prière est alors parole de foi en ce Dieu qui nous aime, et la réparation accueil de l’Esprit, comme l’a redéfinie la nouvelle Règle de Vie. Accueil de l’Esprit, elle est accueil de l’œuvre du Père accomplie parmi nous dans le Christ. Intériorisé en nous par l’Esprit, cet accueil est donc aussi « la foi en celui qui m’a aimé ».

De quoi nous rend capables cette foi en Dieu qui nous a aimés et dont le Père Dehon est devenu pour nous un témoin capable de nous guider au 21e siècle ? De l’amour pour les autres.

Car « l’amour pour les autres est rendu possible par l’amour que Dieu a pour moi ». L’amour en retour n’est en effet pas une simple décision émotionnelle ou rationnelle de notre part, il est un don de celui qui nous aime, et l’abandon consiste ainsi à redonner, généreusement et librement, ce don que l’Esprit a enraciné dans nos cœurs.

Les deux derniers articles du volume traitent du thème mis en avant par le pape François et repris par le XXIIIe Chapitre Général : la miséricorde.

Il est vrai que ces dernières décennies le terme « miséricorde » n’a reçu que peu d’attention théologique et n’apparaît même pas dans notre nouvelle Règle de Vie. Pourtant le mot et la chose sont bien présents dans les écrits du Père Dehon. Relisant les  analyses de Paul Ricœur sur le pardon, le Père van den Hengel réussit à mettre en relation le pardon, la miséricorde et l’amour en retour dont il a déjà été question dans les études précédentes. Il conclut son 10e chapitre en affirmant qu’à la miséricorde « on ne peut répondre que par l’extravagance, par une générosité et une surabondance sans limites…ou par une action de grâce. Delà, l’eucharistie où, par l’acte de rendre grâce de la communauté et par la participation au pain partagé, on rejoint l’extrême générosité du don de soi-même de Jésus. »

Par quelques textes du Père Dehon et par un référence à son charisme social, le Père van den Hengel essaie de redire ce qui est si unique dans la miséricorde, et ce qui la rend si intéressante : « Pour le Père Dehon, la miséricorde de Dieu est plus qu’une promesse flou. Elle est très pratique, et elle doit l’être aussi pour nous. Elle n’a pas à nous guider dans exactement les mêmes activités qu’a entreprises le Père Dehon. Mais, comme lui,  nous avons à découvrir comment la miséricorde de Dieu nous mène vers des personnes qui sont des visages de sa propre miséricorde. »

Nous espérons pouvoir bientôt lire la traduction française de ce volume stimulant qui ouvre des pistes inattendues pour une meilleure compréhension et une actualisation pratique du riche charisme que nous a légué notre Fondateur.

Jean-Jacques Flammang SCJ

 

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