Comment échapper à la dictature du bruit

Dans une époque de plus en plus bruyante, alors que la technique et les biens matériels ne cessent d’étendre leur emprise, c’est certainement une gageure que de vouloir écrire un livre consacré au silence. Pourtant, le monde émet tant de bruits que la recherche de quelques gouttes de silence n’en devient que plus nécessaire. Pour le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le culte divin et de la discipline des sacrements – le dicastère romain pour la liturgie -, à force de repousser le divin, l’homme moderne se retrouve dans un grand silence, une épreuve angoissante et oppressante. Le cardinal veut rappeler que la vie est une relation silencieuse entre le plus intime de l’homme et Dieu. Le silence est indispensable pour l’écoute de la musique de Dieu : la prière naît du silence et y revient sans cesse plus profondément.
Dans un entretien avec Nicolas Diat, le cardinal s’interroge : les hommes qui ne connaissent pas le silence peuvent-ils jamais atteindre la vérité, la beauté et l’amour ? La réponse est sans appel : tout ce qui est grand et créateur est formé de silence. Dieu est silence. Après le succès international de « Dieu ou rien » traduit en quatorze langues, le cardinal Robert Sarah entreprend de redonner au silence ses lettres de noblesses.
Le sous-titre de ce livre « Contre la dictature du bruit » reprend le thème du premier chapitre « Le silence contre le bruit ». Le cardinal avertit qu’il faut être courageux en matière d’écologie spirituelle : « Il faut précieusement protéger le silence de tout bruit parasite. Le bruit de notre ’moi’, qui n’en finit pas de réclamer ses droits, nous plongeant dans une préoccupation excessive de nous-mêmes. Le bruit de notre mémoire, qui nous nous tire vers le passé, celui des souvenirs ou des fautes. Le bruit des tentations ou de l’acédie, l’esprit de gourmandise, de luxure, d’avarice, de colère, de tristesse, de vanité, d’orgueil, bref tout ce qui fait la matière du combat spirituel que l’homme doit livrer quotidiennement. Pour faire taire ces bruits parasites, pour consumer au feu de la douce flamme de l’Esprit-Saint, le silence constitue l’antidote suprême » (p. 128). L’auteur montre que dans notre monde ultra-technisé et affairé le bruit fatigue et rend malade : « L’homme est constamment agressé par des images, des lumières et des couleurs qui le rendent aveugle. Sa demeure intérieure est violée par des images malsaines et provocatrices de la pornographie, de la violence bestiale, et de toutes les obscénités mondaines qui agressent la pureté du cœur en s’y infiltrant à travers la porte du regard » (p.61). Nous sommes distraits par mille choses perturbantes. Le vacarme intérieur rend tout silence impossible. Le bruit est un anxiolytique trompeur, addictif et mensonger. Le bruit pénètre aussi dans l’Eglise. Le cardinal indique les trésors que le ce silence dévoile : le mystère et le sacré. Il invite à réhabiliter le silence au cœur des liturgies. « Le bruit et un viol de l’âme, le bruit est la ruine ‘silencieuse’ de l’intériorité » (p.124). Sans silence il n’y a ni repos, ni sérénité, ni vie intérieure et paix. Combien Pascal avait raison d’écrire dans ses Pensées : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans sa chambre. » Sur le simple plan physique, l’homme ne peut trouver le repos que dans le silence. Les plus belles choses de la vie ont lieu dans le silence.
Dans le chapitre « Le silence de Dieu face au déchaînement du mal » le cardinal Sarah traite de la Shoah et des autres tragédies qui torturent les nations, les tragédies intimes vécues par les malades. Il parle du silence de Dieu, au cœur des douleurs humaines qui est « un silence aimant et proche de la souffrance ». En face du mal, il n’y a qu’une seule attitude : le combat et la résistance. « La prière doit être une forme de résistance pour éloigner les difficultés. Elle permet de revêtir l’armure de Dieu. L’homme se tourne humblement vers Dieu pour qu’il intervienne en sa faveur. » (p.225). « Souvent, l’homme oublie que Dieu est présent. S’il est incroyant, il considère que Dieu n’existe pas. S’il a une foi attiédie par le temps et l’atmosphère sécularisée, il se désespère en pensant que Dieu l’a abandonné. Mais le Père reste avec lui malgré toutes les dénégations possibles. » (p.227).
Le silence est une ouverture à l’espérance. « Le christianisme permet à l’humanité d’avoir une vision plus simple, plus sereine et plus silencieuse de la mort, loin des cris, des pleurs et du désespoir. » (p.280) Il invite à tourner le regard vers le Christ et vers Marie, debout au pied de la croix.
Dans le dernier chapitre le cardinal Sarah a su convaincre le prieur Dom Dysmas de Lassus, ministre général de l’ordre des chartreux, de communiquer au lecteur le goût de ce grand silence qui enveloppe la vie des moines, jusqu’au cœur de l’obscurité de la nuit. Un entretien sans précédent, à trois voix, mené par Nicolas Diat. Les moines chartreux ne recherchent pas le silence, mais l’intimité avec Dieu par les moyens du silence. Dom Dysmas de Lassus parle plus volontiers d’un Dieu caché qu’un Dieu silencieux. Tout est paradoxal dans la relation avec Dieu : présence et paradoxe dans la relation avec Dieu. Le fruit du silence, c’est d’apprendre à discerner sa voix, même si elle garde toujours son mystère. Découvrir Dieu en nous et nous en Dieu… Le silence est la condition pour s’ouvrir aux grandes réponses qui nous seront donnés après la mort. L’âme de l’ordre des chartreux, c’est la soif de Dieu. Il résume : « Nous portons en nous l’attente de l’humanité qui, sans le savoir, a soif de Dieu quand elle aspire à la paix, à la justice et à l’amour. » (p.360)
« La force du silence » a une hauteur spirituelle remarquable qui nous fait entre dans le cœur du mystère de Dieu. En plusieurs points, le cardinal Sarah fait penser à Benoît XVI, façonné par la tradition bénédictine, vivant en quasi-ermite au Vatican et tellement libre par rapport au fureurs mondaines qui viennent faire le siège de de l’âme. Le pape émérite écrit : « Nous vivons dans une société dans laquelle chaque espace doit être rempli par des activités, souvent nous n’avons pas le temps d’écouter. N’ayons pas peur de faire silence à l’extérieur et au-dedans de nous-mêmes, si nous voulons être capables de percevoir la voix de Dieux. »
Tous ceux qui ont goûté le silence, aspirent à l’entendre de nouveau. C’est le cas du cardinal Sarah qui, jeune archevêque de Conakry, avait pris l’habitude de s’isoler : « Je m’étais créé un désert intérieur. Il n’y avait aucune présence humaine. Je vivais dans le jeûne, la prière, simplement nourri par l’eucharistie. » Original, non ?
Père Théo Klein SCJ
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