En ce froid matin du 19
octobre 1965, tout Saint-Clément se trouve réuni
devant l'Église paroissiale Saint-Denis de Viry-Châtillon.
Depuis un moment, le glas égrène ses notes lugubres...
Minute émouvante, poignante, lorsque nous apercevons l'auto-corbillard
qui transporte le corps du Père Alfred BILLOT, depuis 15
ans, vaillant missionnaire au Cameroun, décédé
à l'hôpital saint Joseph de Paris le samedi 16 octobre.
Minute émouvante, poignante, ai-je dit, mais la messe d'enterrement
que nous avons voulue magnifique ne sera pas « comme un enterrement
ordinaire », m'a dit le lendemain un de mes grands élèves
et il ajoutait, avec ses camarades: « C'était un enterrement
vivant, pas triste, mais émouvant ». Telle est l'opinion
de nos grands élèves, telle est aussi, je crois, l
' opinion de toute l' assistance.
Enterrement vivant, sans tristesse, par les chants où dominait
la note de l'espoir:
« Pars vers Dieu qui t'appelle.
«Il sauve les pécheurs
«Dans la vie éternelle
«Rejoins ton Rédempteur ».
« Au ciel nous aurons, près de Dieu le bonheur
«Dans la gloire et la paix, près de Dieu...
ou encore le Magnificat, en chant d'actions de grâces.
Enterrement émouvant lorsque après l'Évangile
le R.P. Goerg, procureur de notre mission du Cameroun, nous retraça
la vie du Père Billot, homme d'action et de foi, et lorsque
le T.R.P. Bourgeois, supérieur provincial, nous parla du
caractère du défunt, de son cur, de sa générosité.
Enterrement émouvant encore, vu la nombreuse assistance qui
tint à conduire le Père à sa dernière
demeure, dans le petit cimetière de Saint Clément
où tous nous prenions part à la peine et aux larmes
d'un papa et de deux frères.
Mais qui était donc ce Père
?
Alfred BILLOT était né le 17 février 1925,
à Eternoz dans le département du Doubs. Petit village
de 300 habitants au climat assez rude mais village touristique,
encaissé dans une vallée, entouré d'un site
magnifique. Dans le jeune Alfred, enfant, nous devinions déjà
le jeune homme dur au travail, opiniâtre dans ses idées,
mais jovial, au large sourire qui nous entraînait si souvent
à la joie. Le deuxième de cinq enfants, Alfred perdait
vers sa sixième année, et sa maman et un frère
plus jeune, mais m'a-t-il dit plusieurs fois, la venue au foyer
d'une seconde maman, si bonne, si douce pour eux tous, ne le privait
pas de la chaude affection maternelle.
A 8 ans et demi, il partait pour le petit séminaire de Blaugies
qui, jusqu'en 5ème, préparait des élèves
pour Saint-Clément où il entrait en 1938. Je me permets
ici de rappeler mon premier souvenir du Père: un petit baigneur
noir dont il était si fier, car dès cette époque,
tout jeune encore, il rêvait déjà des missions
lointaines, au Cameroun.
1939: c'est la guerre. Saint-Clément se réfugie dans
le nouveau petit séminaire des Pères du Sacré-Cur
à Neussargues (Cantal). Alfred y demeurera 4 ans et, après
y avoir obtenu le baccalauréat, ira faire son apprentissage
de la vie religieuse au noviciat, réfugié à
20 km de Clermont-Ferrand, dans le petit village de Busséol.
Une fois émis les premiers vux, ce sera le grand séminaire
à Uriage (Isère). C'est là que le frère
Jacques Billot étudiera philosophie et théologie,
c'est là qu'il se consacrera définitivement à
Dieu par les vux perpétuels le 29 septembre 1947, c'est
là qu'il sera ordonné prêtre le 25 mars 1950,
avec trois de ses confrères, c'est là aussi qu'il
apprendra d'une façon définitive qu'il pourra bientôt
s'embarquer pour notre mission du Cameroun. Quelques jours avant
Noël 1950, le Père Billot réalisait son rêve:
il pouvait fouler de ses pieds la terre d'Afrique.
Son premier poste, professeur d'anglais et préfet de discipline
au petit séminaire de Melong, lui laissera le temps et l'occasion
de parcourir la brousse, son plus cher désir. Mais après
trois ans de professorat, son évêque le désignera
pour la mission la plus chaude, la plus malsaine, la plus difficile:
Yabassi.
Le Père Billot, grâce à son excellente santé
physique et morale, supportera les difficultés de climat
et d'isolement souvent prolongé.
Après un premier séjour en France, il s'occupera de
brousse et d'écoles à La Moumé où «nous
trouvons l'aspect inhospitalier de la zone forestière».
Puis le Père sera appelé au centre du diocèse
comme vicaire à la cathédrale de Nkongsamba. C'est
de là qu'il ira fonder sa première mission au Sud
de Nkongsamba. Pour arriver au but qu'il s'est tracé, il
vivra très pauvrement mais construira une église de
800 places, la maison des Pères et des écoles pour
600 élèves. Sa mission bien installée, le Père
Billot revient en France pour un deuxième séjour au
mois de mars 1964 puis repart vers la fin de la même année.
Son nouvel évêque, heureux du travail accompli, le
charge d'un nouveau poste à fonder, Baré. C'est là
qu'en pleine force de l'âge, à 40 ans, le guettait
le mal qui devait l'emporter. Conduit à l'hôpital de
Douala vers la mi-juin, le Père était ramené
d'urgence à Paris début juillet où durant plus
de trois mois il demeurera avec une santé chancelante; et
le 16 octobre nous parvenait la nouvelle de sa mort. De quoi est-il
mort exactement ? Les docteurs ne se sont pas prononcés.
Voilà succinctement résumée la vie ardente,
débordante du Père Billot. Il était spontané:
s'il ne se formalisait pas d'une boutade qu'un confrère pouvait
lui décocher, c'est qu'il avait la réplique facile,
mais toujours avec gentillesse, et il en riait si facilement qu'il
ne pouvait avoir que des amis. Sous des dehors un peu rudes, qui
au premier abord pouvaient le faire paraître assez superficiel,
il cachait un cur si généreux, un oubli de soi
si prononcé, une générosité si vaste
que par là aussi il ne pouvait avoir que des amis. Durant
l'année 1948, plusieurs grands séminaristes durent
se faire opérer, le chirurgien demandait un confrère
pour veiller ces malades. Je crois que, chaque fois, le Père
Billot est allé passer une nuit à la clinique, pour
l'office de bon samaritain.
Pendant plusieurs années de son grand séminaire, il
s'est occupé de la ferme avec un autre de nos confrères
plus âgé, lui aussi missionnaire au Cameroun. Cela
leur demandait à tous deux de se lever avant la communauté,
cela leur occasionnait un surplus appréciable de travail,
jamais nous ne les avons entendus se plaindre. Pour tous deux c'était
l'occasion de se dépenser pour leurs frères. Toujours
en effet le Père Billot a su s'effacer, s'oublier lui-même,
toujours aussi il était prêt à rendre service.
Au jour de notre première messe, le Père Supérieur
du grand séminaire disait du Père Billot: «Si
les pierres pouvaient parler... ! » Car déjà
le Père avait répondu présent pour la construction
de la première chapelle de Chamrousse, pour la construction
ou reconstruction de bâtiments annexes du séminaire.
Pour lui, c'était l'apprentissage de son rêve, construire
au Cameroun.
N'oublions pas surtout que le Père Billot fut un homme de
foi. Pour nous qui l'avons connu en Europe, rien ne le rebutait
car il comptait sur Dieu, il le disait et il y croyait. Il savait
que Dieu ne lui demanderait que ce qu'il pourrait supporter. Lorsque
la veille de sa mort, le Père procureur des Missions lui
demandait comment il envisageait la mort si Dieu l'appelait, le
Père Billot répondait:
« D'accord, je suis prêt ».
C'est sur ce mot que je veux terminer tellement il me semble bien
résumer sa vie :
prêt pour Dieu,
prêt pour ses chrétiens du Cameroun,
prêt pour tout ce qui pouvait lui être demandé.
Emile BOHNEN scj.
(Extrait de ma revue «JEUNE CLERC» (Partage) N°
105 1965)
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